Étienne de la Boétie (1530-1563)
Recueil : Vers françois - Sonnet

Quand j'ose voir Madame, Amour guerre me livre ...


 

Quand j'ose voir Madame, Amour guerre me livre,
Et se pique à bon droit que je vay follement
Le cercher en son regne; et alors justement
Je souffre d'un mutin temeraire la peine.

Or me tiens-je loing d'elle, et ta main inhumaine,
Amour, ne chomme pas: mais si aucunement,
Pitié logeoit en toy, tu devois vrayement
T'ayant laissé le camp, me laisser prendre haleine.

N'aye-je pas donc raison, ô Seigneur, de me plaindre,
Si estant loing de feu, ma chaleur n'est pas moindre ?
Quand d'elle pres je suis, lors tu dois faire preuve

De ta force sur moy; mais or tu dois aussi
Relascher la rigueur de mon aspre soucy:
Trop mortelle est la guerre où l'on n'a jamais tresve.


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Quand j’ose voir Madame, Amour guerre me livre,
Et se pique à bon droit que je vais follement
Le chercher en son règne ; et alors justement
Je souffre d’un mutin téméraire la peine.
 
Or me tiens-je loin d’elle, et ta main inhumaine,
Amour, ne chôme pas : mais si aucunement,
Pitié logeait en toi, tu devais vrayement
T’ayant laissé le camp, me laisser prendre haleine.
 
N’ai-je pas donc raison, ô Seigneur, de me plaindre,
Si étant loin de feu, ma chaleur n’est pas moindre ?
Quand d’elle près je suis, lors tu dois faire preuve
 
De ta force sur moi ; mais or tu dois aussi
Relâcher la rigueur de mon âpre souci :
Trop mortelle est la guerre où l’on n’a jamais trêve.

 

 


Étienne de la Boétie

 

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