Étienne Jodelle (1532-1573)
Recueil: Poésies

Je vivais mais je meurs, et mon cœur ...


 

Je vivais mais je meurs, et mon cœur, gouverneur
De ces membres, se loge autre part ; je te prie,
Si tu veux que j’achève en ce monde ma vie,
Rends-le moi, ou me rends, au lieu de lui, ton cœur.
 
Ainsi tu me rendras à moi-même, et tel heur
Te rendras même à toi ; ainsi l’amour qui lie
Le seul amant, liera et l’amant et l’amie.
Autrement ta rigueur ferait double malheur,
 
Car tu perdras tous deux : moi premier qui trop t’aime
Et toi qui, n’aimant rien, voudras haïr toi-même.
Mais, las ! si l’on reproche à l’un et l’autre un jour,
 
Et l’une et l’autre faute, à moi qui trop t’estime,
À toi qui trop me hais, plus grand sera ton crime,
D’autant plus que la haine est pire que l’amour.

 

 


Étienne Jodelle

 

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