Pindare (-518 à -438)

Traduction de Faustin Colin (1841)

ISTHMIQUE V



A PHYLACIDAS, VAINQUEUR AU PANCRACE PARMI LES ENFANTS

Strophe 1. — Comme en un banquet où fleurit la joie, nous mêlons dans un deuxième cratère (76) les hymnes des Muses pour la valeureuse lignée de Lampon ; à Némée, d'abord, ô Jupiter, nous avions reçu de toi les couronnes fleuries; et maintenant le maître de l'Isthme (77) et les cinquante Néréides ont donné une nouvelle victoire à Phylacidas, le plus jeune des fils. Puissé-je offrira l'Olympien sauveur (78), une troisième libation de vers mélodieux en faveur d'Égine !

Antistrophe 1. — Car, lorsqu'un mortel ami de la magnificence et du travail, pratique les vertus divines, et qu'un dieu le couvre d'une gloire désirée, alors honoré des immortels, il jette l'ancre au sein de la félicité suprême. Voilà les souhaits qu'il voudrait voir accomplir, le fils de Cléonice (79), avant la mort et la blanche vieillesse. Pour moi, je conjure Clotho au trône élevé, et les Parques, ses sœurs, de remplir les nobles vœux d'un mortel que je chéris.

Épode 1. — Et vous, Éacides aux chars d'or, sachez que je me suis imposé la loi de ne jamais aborder dans votre lie sans la combler d'éloges. Par mille hauts faits, vous n'avez cessé de vous ouvrir de vastes routes jusqu'au delà des sources du Nil  (80) et au milieu des Hyperboréens (81). Il n'est point de ville assez barbare, assez étrangère à notre langage, pour ignorer la gloire du héros Pelée, heureux gendre des dieux (82) ;

Str. 2. — Ou la gloire d'Ajax, fils de Télamon et celle dé son père; guerrier à l'armure d'airain, compagnon de guerre intrépide, qui, au siège héroïque de Troie, pour punir Laomédon, fut emmené sur des vaisseaux avec les Tirynthiens par le fils d'AIcmène. Et celui-ci s'empara de Pergame, et secondé par lui, fit périr les tribus des Méropes (83) et le berger, haut comme une montagne, Alcyonée qu'il rencontra dans les champs Phlégréens ; et la main d'Hercule ne ménagea point la corde vibrante de l'arc terrible;

Ant. 2. — Mais lorsqu'il vint prier Éacide de s'embarquer avec lui, il trouva toute une troupe de convives. Couvert d'une peau de lion, debout, le vaillant Amphitryoniadèe fut convié par l'illustre Télamon à préluder aux libations de Nectar, et reçut de lui une large coupe d'or ciselée et pleine de vin. Alors, levant aux cieux ses bras invincibles, il fit entendre ces paroles : «O bienfaisant «Jupiter, si jamais tu as écouté ma prière avec plaisir,

Ép. — «Je t'en conjure aujourd'hui par les plus vives supplications, donne à cet époux d'Éribée (84) un fils courageux qui mette le comble au bonheur de mon hôte (85). Que son corps soit dur comme cette peau qui m'enveloppe, la peau du monstre (86) sauvage, dont la mort signala dans Némée mon premier exploit. Qu'il ait la valeur en partage.» Il dit, et sur-le-champ, le dieu lui envoie le roi des oiseaux, un aigle immense. La plus douce joie chatouilla le chœur du héros;

Str. 3. —- Ët, d'une voix retentissante (car il était devin) : «Tu l'auras, s'écria-t-il, ce fils que tu désires, ô Télamon.» Et du nom (87) de cet aigle qui avait apparu, il l'appela le vigoureux Ajax, effroi des peuples dans les travaux de Mars. Il dit et s'assied aussitôt. Mais je serais trop long si je rappelais tant de hauts faits. Ο Muse, je suis venu pour dispenser des louanges à Phylacidas (88), à Pythéas (89) et à Euthymène. Comme ceux des Argiens (90) mes discours seront très-brefs.

Ant. 3. — Trois victoires au pancrace dans l'isthme (91), d'autres dansNémée aux beaux ombrages, ont été remportées par ces fils illustres et par leur oncle maternel ; quelle foule de poèmes ils ont fait éclore à la lumière ! ils versent sur la tribu des Psalychiades (92) la plus brillante rosée des Grâces (93); honneur pour la maison de Thémistius (94), ils habitent une ville chérie des dieux. Tout entier à ce qu'il fait, Lampon (95) attache un haut prix au mot d'Hésiode (96); sans cesse il le repèle comme un précepte à ses enfants;

Ep. 3. — Il fait rejaillir sa gloire sur toute la cité; on le chérit encore pour son hospitalité gracieuse. Modéré par pensée, il l'est encore en fait. Sa langue est d'accord avec son âme. Il est entre les athlètes ce qu'est entre les autres pierres celle de Naxos (97) qui entame l'airain. Sur eux tous je verserai l'onde pure de Dircé (98), cette onde que les vierges au sein puissant, filles de Mnémosyne à l'écharpe d'or, ont fait jaillir près des portes fortifiées de Cadmus (99).


(75) Selon Suidas, à l'époque de la bataille de Salamine, 480 avant J. C, Pindare était âgé de quarante ans.

(76) Images empruntées à l'usage que suivaient les anciens, d'offrir des libations aux dieux dans les festins; celles du premier cratère à Jupiter; du deuxième, ordinairement à la terre et aux héros ; du troisième, à Jupiter sauveur.

(77) Neptune.

(78) Il souhaite une victoire olympique à son héros.

(79) Lampon, père de Phylacidas.

(80) Jusqu'aux extrémités du monde

(81) Près des colonnes d'Hercule , d'après les recherches de J. H. Yossiùs.

(82) II épousa Thétis.

(83) Habliaient l'Ile de Cos.

(84) En Macédoine, près de Pallène.

(85) Télamon.

(86) Peau de lion.

(87) Le mot grec qui signifie aigle a quelque analogie avec le nom d'Ajax : la première syllabe des deux mots est la même.

(88) Fils de Lampon.

(89) Frère de Lampon.

(90) Doriens. Les discours des Doriens étaient, en général, courts; témoins les Spartiates et le mot laconisme.

(91) De Corinthe.

(92) La famille du vainqueur en faisait partie.

(93) Ces déesses répandaient la beauté sur toute la personne du vainqueur.

(94) Aïeul du vainqueur.  

(95) Père de Phylacidas.

(96) Dans son ouvrage Des OEuvres et des jours, v. 382, Hésiode dit que l'on augmenté son patrimoine par le travail.

(97) Île de la mer Egée où se trouvaient des pierres à aiguiser.

(98) Fontaine de Thèbes.

(99) Thébes.

 


Pindare - Isthmiques

 

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