Pierre de Ronsard (1524-1585)
Recueil : La Philosophie

Hymne de L'Eternité



Rempli d'un feu divin qui m'a l'âme échauffée,
Je veux mieux que devant, suivant les pas d'Orphée,
Découvrir les secrets de Nature et des Cieux,
Recherchés d'un esprit qui n'est point ocïeux;
Je veux, s'il m'est possible, atteindre à la louange
De celle qui jamais par les ans ne se change,
Mais bien qui fait changer les siècles et les temps,
Les mois et les saisons et les jours inconstants,
Sans jamais se muer, pour n'être point sujette
Comme Reine et maîtresse à la loi qu'elle a faite...
Donne-moi, s'il te plaît, immense Eternité,
Pouvoir de raconter ta grande Déité;
Donne l'archet d'airain et la Lyre ferrée,
D'acier donne la corde et la voix acérée,
Afin que ma chanson dure aussi longuement
Que tu dures au Ciel perpétuellement,
Toi la Reine des ans, des siècles et de l'âge,
Qui as eu pour ton lot tout le Ciel en partage,
La première des Dieux, où bien loin de souci
Et de l'humain travail qui nous tourmente ici
Par toi-même contente et par toi bienheureuse,
Eternelle tu vis en tous biens plantureuse.
Tout au plus haut des Cieux, dans un trône doré
Tu te sieds en l'habit d'un manteau coloré
De pourpre rayé d'or, de qui la broderie
De tous côtés s'éclate en riche orfèvrerie,
Et là, tenant au poing un grand Sceptre aimantin,
Tu établis tes lois au sévère Destin,
Qu'il n'ose outrepasser, et que lui-même engrave
Fermes au front du Ciel; car il est ton esclave,
Ordonnant dessous toi les neuf temples voûtés
Qui dedans et dehors cernent de tous côtés,
Sans rien laisser ailleurs, tous les membres du monde,
Qui gît dessous tes pieds comme une boule ronde...
Nous autres journaliers, nous perdons la mémoire
Des siècles jà coulés, et si ne pouvons croire
Ceux qui sont à venir, comme étant imparfaits
Et d'une masse brute inutilement faits,
Aveuglés et perclus de sa sainte lumière,
Que le péché perdit en notre premier père;
Mais ferme tu retiens dedans ton souvenir
Tout ce qui est passé, et ce qui doit venir,
Comme haute Déesse éternelle et parfaite,
Et non ainsi que nous de masse impure faite.
Tu es toute dans toi, ta partie et ton tout,
Sans nul commencement, sans milieu ni sans bout,
Invincible, immuable, entière et toute ronde,
N'ayant partie en toi qui en toi ne réponde,
Toute commencement, toute fin, tout milieu,
Sans tenir aucun lieu de toutes choses lieu,
Qui fais ta Déité du tout par tout étendre,
Qu'on imagine bien et qu'on ne peut comprendre.
Regarde-moi, Déesse au grand oeil tout-voyant,
Mère du grand Olympe au grand tour flamboyant,
Grande Mère des Dieux, grande Reine et Princesse;
Si je l'ai mérité, concède-moi, Déesse,
Concède-moi ce don: c'est qu'après mon trépas,
Ayant laissé tomber ma dépouille çà-bas,
Je puisse voir au Ciel la belle Marguerite
Pour qui j'ai ta louange en cet Hymne décrite.


Pierre de Ronsard

 

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