Antoine Houdar De La Motte (1672-1731)
Recueil: Fables (1719)

Le Médecin astrologue


 

Enfants de Galien, pardonnez l'apologue.
Un medecin, qui pis est, astrologue,
De son valet Colin, jeune, frais, vigoureux,
Fit l'horoscope; et vit, selon son thême,
Qu'en même jour le valet et lui-même,
Seroient de maladie emportés tous les deux.
Il calcule vingt fois, rouvre maint et maint livre;
Voit par tout son arrêt. à peine il doit survivre
Colin d'une heure. Or jugez si Colin,
Du moins si sa santé fut chere au médecin.
Il s'attache à ses pas, ne le perd plus de vûe.
Que sens-tu mon enfant ? Comment va la vigueur ?
Et, dieu t'assiste de grand coeur,
À chaque fois qu'il éternue,
Il veut le voir manger; lui mesure son vin;
Le soir lui fait faire un potage;
Dort-il mal ? Dès le grand matin
Le petit clistere anodin.
Par son regime exact, le docte personnage
Fait tant et tant que de Colin,
Moitié diéte, moitié chagrin,
Fleur de jeunesse, embonpoint démenage.
Surcroît d'allarme, au maigre jouvenceau
Prend une legere colique.
On saigne; vient la fiévre; aussi-tôt l'émétique;
Soudain redoublement; bon transport au cerveau.
Bien-tôt de soins en soins Colin est au tombeau.
Le sang de l'astrologue en ses veines se glace;
Il n'a qu'une heure à respirer.
Il fait son testament; enfin l'heure se passe;
Puis le jour, puis la nuit; puis à se rassurer
Il coule la semaine entiere.
L'expérience enfin amena la lumiere.
De Cardan, d'Hipocrate, il abjure les loix.
Voit que l'un et l'autre art n'est qu'erreur et folie.
Heureux de guérir à la fois
Et de la médecine et de l'astrologie !

 

 


Antoine Houdar de La Motte

 

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