Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Recueil : Harmonies poétiques et religieuses (1830) - Livre premier

Invocation



Toi qui donnas sa voix à l'oiseau de l'aurore,

Pour chanter dans le ciel l'hymne naissant du jour;
Toi qui donnas son âme et son gosier sonore
A l'oiseau que le soir entend gémir d'amour;

Toi qui dis aux forêts : Répondez au zéphire !
Aux ruisseaux : Murmurez d'harmonieux accords;
Aux torrents : Mugissez; à la brise : Soupire !
À l'océan : Gémis en mourant sur tes bords !

Et moi, Seigneur, aussi, pour chanter tes merveilles,
Tu m'as donné dans l'âme une seconde voix
Plus pure que la voix qui parle à nos oreilles,
Plus forte que les vents, les ondes et les bois !

Les cieux l'appellent Grâce, et les hommes Génie;
C'est un souffle affaibli des bardes d'Israël,
Un écho dans mon sein, qui change en harmonie
Le retentissement de ce monde mortel !

Mais c'est surtout ton nom, ô roi de la nature,
Qui fait vibrer en moi cet instrument divin;
Quand j'invoque ce nom, mon coeur plein de murmure
Résonne comme un temple où l'on chante sans fin !

Comme un temple rempli de voix et de prières,
Où d'échos en échos le son roule aux autels;
Eh quoi ! Seigneur, ce bronze, et ce marbre, et ces pierres
Retentiraient-ils mieux que le coeur des mortels ?

Non, mon Dieu, non, mon Dieu, grâce à mon saint partage
Je n'ai point entendu monter jamais vers toi
D'accords plus pénétrants, de plus divin langage,
Que ces concerts muets qui s'élèvent en moi !

Mais la parole manque à ce brûlant délire,
Pour contenir ce feu tous les mots sont glacés;
Eh ! qu'importe, Seigneur, la parole à ma lyre ?
Je l'entends, il suffit; tu réponds, c'est assez !

Don sacré du Dieu qui m'enflamme,
Harpe qui fais trembler mes doigts,
Sois toujours le cri de mon âme,
À Dieu seul rapporte ma voix;
Je frémis d'amour et de crainte
Quand, pour toucher ta corde sainte,
Son esprit daigna me choisir !
Moi, devant lui moins que poussière,
Moi, dont jusqu'alors l'âme entière
N'était que silence et désir !

Hélas ! et j'en rougis encore,
Ingrat au plus beau de ses dons,
Harpe que l'ange même adore,
Je profanai tes premiers sons;
Je fis ce que ferait l'impie,
Si ses mains, sur l'autel de vie,
Abusaient des vases divins,
Et s'il couronnait le calice,
Le calice du sacrifice,
Avec les roses des festins !

Mais j'en jure par cette honte
Dont rougit mon front confondu,
Et par cet hymne qui remonte
Au ciel dont il est descendu !
J'en jure par ce nom sublime
Qui ferme et qui rouvre l'abîme,
Par l'oeil qui lit au fond des coeurs,
Par ce feu sacré qui m'embrase,
Et par ces transports de l'extase
Qui trempent tes cordes de pleurs !

De tes accents mortels j'ai perdu la mémoire,
Nous ne chanterons plus qu'une éternelle gloire
Au seul digne, au seul saint, au seul grand, au seul bon;
Mes jours ne seront plus qu'un éternel délire,
Mon âme qu'un cantique, et mon coeur qu'une lyre,
Et chaque souffle enfin que j'exhale ou j'aspire,
Un accord à ton nom !

Élevez-vous, voix de mon âme
Avec l'aurore, avec la nuit !
Élancez-vous comme la flamme,
Répandez-vous comme le bruit !
Flottez sur l'aile des nuages,
Mêlez-vous aux vents, aux orages,
Au tonnerre, au fracas des flots;
L'homme en vain ferme sa paupière;
L'hymne éternel de la prière
Trouvera partout des échos !

Ne craignez pas que le murmure
De tous ces astres à la fois,
Ces mille voix de la nature,
Étouffent votre faible voix !
Tandis que les sphères mugissent,
Et que les sept cieux retentissent
Des bruits roulants, en son honneur,
L'humble écho que l'âme réveille
Porte en mourant à son oreille
La moindre voix qui dit : Seigneur !

Élevez-vous dans le silence
A l'heure où dans l'ombre du soir
La lampe des nuits se balance,
Quand le prêtre éteint l'encensoir;
Élevez-vous au bord des ondes
Dans ces solitudes profondes
Où Dieu se révèle à la foi !
Chantez dans mes heures funèbres :
Amour, il n'est point de ténèbres,
Point de solitude avec toi !

Je ne suis plus qu'une pensée,
L'univers est mort dans mon coeur,
Et sous cette cendre glacée
Je n'ai trouvé que le Seigneur.
Qu'il éclaire ou trouble ma voie,
Mon coeur, dans les pleurs ou la joie,
Porte celui dont il est plein;
Ainsi le flot roule une image,
Et des nuits le dernier nuage
Porte l'aurore dans son sein.

Qu'il est doux de voir sa pensée,
Avant de chercher ses accents,
En mètres divins cadencée,
Monter soudain comme l'encens;
De voir ses timides louanges,
Comme sur la harpe des anges,
Éclore en sons dignes des cieux,
Et jusqu'aux portes éternelles
S'élever sur leurs propres ailes
Avec un vol harmonieux !

Un jour cependant, ô ma lyre,
Un jour assoupira ta voix !
Tu regretteras ce délire
Dont tu t'enivrais sous mes doigts :
Les ans terniront cette glace
Où la nature te retrace
Les merveilles du saint des saints !
Le temps, qui flétrit ce qu'il touche,
Ravira les sons sur ma bouche
Et les images sous mes mains.

Tu ne répandras plus mon âme
En flots d'harmonie et d'amour,
Mais le sentiment qui m'enflamme
Survivra jusqu'au dernier jour;
Semblable à ces sommets arides
Dont l'âge a dépouillé les rides
De leur ombre et de leurs échos,
Mais qui dans leurs flancs sans verdure
Gardent une onde qui murmure
Et dont le ciel nourrit les flots.

Ah ! quand ma fragile mémoire,
Comme une urne d'où l'onde a fui,
Aura perdu ces chants de gloire
Que ton Dieu t'inspire aujourd'hui,
De ta défaillante harmonie
Ne rougis pas, ô mon génie !
Quand ta corde n'aurait qu'un son,
Harpe fidèle, chante encore
Le Dieu que ma jeunesse adore,
Car c'est un hymne que son nom !

 


Alphonse de Lamartine

 

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