Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Parallèlement (1889)
Guitare
Le pauvre du chemin creux chante et parle. Il dit : « Mon nom est Pierre et non pas Charle, Et je m’appelle aussi Duchatelet. Une fois je vis, moi qu’on croit très laid, Passer vraiment une femme très
belle. (Si je la voyais telle, elle était telle.) Nous nous mariâmes au vieux curé. On eut tout ce qu’on avait espéré, Jusqu’à l’enfant qu’on m’a dit vivre
encore. Mais elle devint la pire pécore Indigne même de cette chanson, Et certain beau soir quitta la maison En emportant tout l’argent du ménage Dont les trois quarts étaient mon apanage. C’était une voleuse, une sans-cœur, Et puis, par des fois, je lui faisais peur. Elle n’avait pas l’ombre d’une excuse, Pas un amant ou par rage ou par ruse. Il paraît qu’elle
couche depuis peu Avec un individu qui tient lieu D’époux à cette femme de querelle. Faut-il la tuer ou prier pour elle ? »
Et le pauvre sait très bien qu’il priera, Mais
le diable parierait qu’il tuera.