Antoine Godeau (1605-1672)
Recueil: Poésies chrétiennes

Cantique des trois enfants dans la fournaise


 

Espoir de toute âme affligée,
Grand Dieu, notre unique recours,
Par qui la trame de nos jours,
Malgré les feux est prolongée,
Seigneur, dont la puissante main,
Des fers d’un tyran inhumain,
Sauva nos ancêtres fidèles,
Que ton nom soit toujours béni,
Que par tes chansons immortelles,
On célèbre à jamais ton pouvoir infini.

Que dans le séjour où ces anges,
Qui ne sont que flamme et qu’ardeur,
Servent de trône à ta grandeur,
On chante tes saintes louanges,
Qu’on te bénisse dans les cieux,
Où ta gloire éblouit les yeux,
Où tes beautés n’ont point de voiles,
Où l’on voit ce que nous croyons,
Où tu marches sur les étoiles,
Et d’où jusqu’aux enfers tu lances tes rayons.

Bénissez Dieu, troupes ailées,
Anges qu’embrase son amour,
Clairs flambeaux, qui dans ce séjour
Guidez nos âmes exilées,
Voûtes d’or, miracles roulants,
Globes de flammes étincelants,
Palais d’admirable structure,
Trônes d’azur, superbes corps,
Beaux cieux, gloire de la nature,
Célébrez sa grandeur en vos divins accords.

Mers sur nos têtes suspendues,
Eaux qui couvrez le firmament,
Vertus que dans chaque élément,
La providence a répandues ;
Miroir de la divinité,
Père immortel de la clarté,
Par qui seul la terre est féconde,
Œil du ciel qui nous fait tout voir,
Roi des astres, âme du monde,
Bénissez du Seigneur l’adorable pouvoir.

Louez sa grandeur non pareille,
Inconstant soleil de la nuit,
De qui le char roule sans bruit
Lorsque la nature sommeille,
Illustre courrière des mois,
Lune, dont les secrètes lois
Gouvernent les plaines salées,
Feux errants, célestes flambeaux,
Fleurs d’or sur le ciel étalées,
Astres, bénissez Dieu qui vous a fait si beaux.

Perles brillantes et liquides,
Douce nourriture des fleurs,
Manne du ciel, fertiles pleurs,
Dont l’aube rend les prés humides ;
Et vous corps sans âme mouvants,
Objets trompeurs, jouets des vents,
Voiles du ciel, subtiles nues,
Espoir de nos champs altérés,
Louez les forces si connues,
De ce bras qui du rien a les hommes tirés.

Horribles auteurs des tempêtes,
Rois de l’air, terreur des nochers,
Vents qui des plus fermes rochers,
Ébranlez les superbes têtes ;
Foudres qui grondez dans les airs,
Ravines, orages, éclairs,
Effroi des âmes criminelles,
Armes dont le ciel irrité
Punit ici-bas ses rebelles,
Bénissez du Seigneur la haute majesté.

Feu qui d’une vitesse extrême,
As pris place dessous les cieux,
Où sans te montrer à nos yeux,
Tu vis seulement de toi-même ;
Air, où le ciel avec horreur,
De son équitable fureur,
Imprime les sanglantes marques,
Lorsqu’elle est prête de punir,
Ou les peuples, ou les monarques,
Bénissez le Seigneur qu’on ne peut trop bénir.

Printemps qui fais pousser les herbes,
Hiver couronné de glaçons,
Eté dont les riches moissons,
Rendent nos campagnes superbes ;
Grêles, neiges, brouillards épais,
Louez le Seigneur à jamais,
Célébrez son nom adorable,
Tout ce qu’il produit est parfait,
Et cet univers admirable,
De son divin pouvoir n’est qu’un petit effet.

Riche et pesante créature,
Vieille nourrice des humains,
Qui rends au travail de leurs mains,
La récompense avec usure,
Tertres par leur soin cultivés,
Monts qui jusqu’au ciel élevez
L’orgueil de vos cimes hautaines,
Vallons de richesses couverts,
Fleuves, étangs, ruisseaux, fontaines,
Bénissez le Seigneur que bénissent nos vers.

Nuit amoureuse du silence,
De qui les innocents pavots,
De nos soins et de nos travaux,
Adoucissent la violence ;
Jour qui chassant l’obscurité,
Fait connaître la vérité des objets
Des objets que cachent les ombres,
Bénissez ce Dieu non pareil
Sans qui les astres seraient sombres,
Et qui de ses clartés éblouit le soleil.

Rendez-lui vos justes hommages,
Redoublez vos saintes ferveurs,
O vous qu’il comble de faveurs,
Hommes, ses vivantes images ;
Peuple qu’il a choisi pour sien,
Dont il s’est rendu le soutien,
Tandis que tu lui fus fidèle ;
Et vous qui près de ses autels,
Où votre charge vous appelle,
Implorez sa faveur pour les autres mortels,

Âmes qui parmi la licence,
Et sous cet air contagieux,
Qui se répand en tant de lieux,
Vous conservez dans l’innocence,
Pour qui les sentiers des vertus
Quoique rudes et peu battus,
Sont pleins d’agréables délices,
Louez ce Dieu qui vous conduit,
Qui vous fait triompher des vices,
et vous sert de soleil au milieu de la nuit.

Mais nous qu’il couronne de gloire,
Qu’il garde au milieu de ces feux,
À qui dans un combat fameux,
Il fait remporter la victoire,
Nous dont il a brisé les fers,
Nous qu’il retire des enfers,
De qui la cause arme les anges,
Célébrons son nom à jamais,
Faisons retentir ses louanges,
Et quand nous parlerons, parlons de ses bienfaits.

Louez ce Dieu qui vous conduit,
Qui vous fait triompher des vices,
et vous sert de soleil au milieu de la nuit.

 

 


Antoine Godeau

 

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