Antoine-Marin Lemierre (1733-1793)
Recueil: La peinture (1769) - Chant 2

Globe resplendissant, océan de lumière ...


 

Globe resplendissant, océan de lumière,
De vie et de chaleur source immense et première,
Qui lances tes rayons par les plaines des airs,
De la hauteur des cieux aux profondeurs des mers,
Et seul fais circuler cette matière pure,
Cette sève de feu qui nourrit la nature,
Soleil, par ta chaleur l'univers fécondé
Devant toi s'embellit de lumière inondé;
Le mouvement renaît, les distances, l'espace;
Tu te lèves, tout luit; tu nous fuis, tout s'efface;
Le poëte sans toi fait entendre ses vers,
Sans toi la voix d'Orphée a modulé des airs;
Le peintre ne pent rien qu'aux rayons de ta sphère.
Père de la couleur, auteur de la lumière,
Sans les jets éclatans de tes feux répandus,
L'artiste, le tableau, l'art lui-même n'est plus.
La peinture en naissant encor faible et rampante,
N'offrit que deux couleurs sur la toile indigente.
La pierre qui blanchit aux entrailles des monts,
Le bois noirci des feux couverts sous des gazons,
Tels furent les pinceaux et les couleurs stériles
Que l'instinct mit d'abord en des mains inhabiles,
Et dont l'art ne formait que des traits indécis
Avant les jours brillans d'Appelle et de Zeuxis.
Bientôt l'oeil ennemi de la monotonie
Dédaigna ces tableaux sans éclat et sans vie,
Où, loin de la nature en voulant l'imiter,
Le peintre la traçait sans la représenter,
Et montrant les objets seulement sous deux teintes,
Semblait de ses beautés ignorer les empreintes.
Partout d'un pôle à l'autre et de la terre aux cieux,
L'univers coloré resplendit à nos yeux.
Quand l'oiseau de son chant vient saluer l'aurore,
De quel pur orangé l'orient se décore !

De quels feux le soleil peint les airs en marchant !
Quels flots de pourpre et d'or il roule à son couchant !
Sous quel aspect superbe il semble reproduire
L'assemblage grossier des vapeurs qu'il attire !
Astre inégal des nuits, quelle douce clarté
S'échappe par les airs de ton disque argenté !
Même lorsque la nuit, en déployant ses voiles,
Fait dans un sombre azur scintiller les étoiles,
Que sur ce fond obscur l'oeil est encor charmé
De tous ces points brillans dont le ciel est semé !
La nature partout variant les images,
De diverses couleurs a marqué ses ouvrages,
La fourrure du tigre et l'aile des oiseaux,
Et le flanc émaillé des habitans des eaux;
Par le brillant amas des divers coquillages
C'est elle qui des mers embellit les rivages,
Teint l'or, blanchit la perle et rougit le corail,
Nuance au vaste sein de la terre en travail
Le jaspe, le porphyre, et d'une main féconde
Sème le diamant aux sables de Golconde;
Le creux des souterrains veiné par les métaux,
La surface des monts couverts de végétaux,
Ces jardins, ces vergers, comme tout se colore
Sous les pinceaux d'Opis, de Pomone et de Flore !

De quels rians tapis, de quels différens verts
Ces champs sont revêtus, ces vallons sont couverts !
Combien l'or ondoyant de la moisson prochaine
Fait reluire l'épi jaunissant dans la plaine !
Que l'ambre des raisins sous ces pampres touffus
Orne sur ces coteaux les thyrses de Bacchus !

Le peintre contempla ce tableau magnifique,
Admira la nature, et sa touche énergique;
De la variété déployant les trésors,
Elle sembla lui dire, atteins à mes efforts.
Aux veines des métaux, aux membranes des plantes
L'artiste alla chercher des couleurs plus brillantes;
Pour peindre la nature il rechercha ses dons,
Il puisa d'heureux sucs dans le sein des poisons;
Tyr lui montra la pourpre, et l'indostan fertile
Offrit à détremper un limon plus utile.
Il fallut séparer, il fallut réunir;
Le peintre à son secours te vit alors venir,
Science souveraine, ô ! Circé bienfaisante,
Qui sur l'être animé, le métal et la plante
Règnes depuis Hermès trois sceptres dans la main,
Te soumets la nature et fouilles dans son sein,
Interroges l'insecte, observes le fossile,
Divises par atômes et repaîtris l'argile,
Recueilles tant d'esprits, de principes, de sels,
Des corps que tu dissous moteurs universels,
Distilles sur la flamme en filtres salutaires
Le suc de la ciguë et le sang des vipères;
Par un subtil agent réunis les métaux,
Dénatures leur être au creux de tes fourneaux;
Du mélange et du choc des sucs antipathiques
Fais sortir quelquefois des tonnerres magiques,
Imites le volcan qui mugit vers Enna,
Quand Typhon s'agitant sous le poids de l'Etna,
Par la cime du mont qui le retient à peine,
Lance au ciel des rochers noircis par son haleine.

Tes mains savent encor, pour le plaisir des yeux,
Préparer des couleurs l'accord harmonieux;
Avant que le pinceau les unisse et les change,
Tu fais leur union et leur premier mélange;
Le feu qui détruit tout, ici régénérant,
Retombe en cendre utile et forme en dévorant.
L'argile au fer s'unit, soit pour jeter les ombres,
Soit pour brunir le vert de ces feuillages sombres;
Pour récréer nos yeux par un ciel épuré,
Le bleu qui le teindra sort du jaspe azuré;
Du plomb sort la couleur qui doit peindre l'aurore,
Du marbre et de la chaux les lis doivent éclore,
Et l'aigle voit rougir le cinabre enflammé
Qui peindra le tonnerre en sa serre allumé.
Artiste, fais broyer les couleurs séparées,
Des atômes fangeux qu'elles soient épurées,
Préside à ces détails, c'est l'intérêt de l'art;
Ne dédaigne aucun soin: vois ce fameux Mansart,
Pour bâtir ces palais sous les lois de l'équerre,
Le dos courbé lui-même il façonna la pierre;
L'art seul de la tailler du tranchant des marteaux
Cimente ces chemins suspendus sur les eaux;
Ainsi cette couleur dont la toile est parée
Doit tout au premier soin qui l'aura préparée.

Connais les sept couleurs, sources des autres tons,
Les passages divers des divers rejetons;
Connais leur alliance et leur antipathie,
Par quel mélange adroit on les réconcilie,
Quel est l'art des reflets, leur concert et leur jeu;
L'orangé sur la toile est-il trop près du bleu ?
Du voisinage entr'eux la discorde va naître,
Que le vert les sépare et l'accord va paraître.

Ne mets point d'un pinceau follement enhardi
Le champ de tes tableaux sous les feux du midi.
Quelle couleur peindrait au haut de sa carrière,
Le front éblouissant du dieu de la lumière ?
Et quand l'astre brûlant armé de tous ses traits,
Plongeant sur notre tête ôte l'ombre aux objets,
Comment nous les montrer ? C'est l'ombre qui détache,
Qui fait fuir les côtés, qui présente et qui cache.
Attends que le soleil s'abaissant sur les monts
Ait enfin de son globe émoussé les rayons,
Ou que d'une clarté non moins douce et propice
Aux portes du matin l'hémisphère blanchisse,
Ou que l'hyade ouvrant ses réservoirs cachés,
Ait versé par les airs ses torrens épanchés;
Ou sous l'ardeur du jour si tu places l'image,
Entr'elle et le soleil fais passer un nuage.

N'interrompts qu'avec art la lumière en son cours;
Surtout que jamais l'oeil ne rencontre deux jours;
Épargne le carmin, trop peu d'ombre est un voile,
L'objet en devient terne et sort peu sur la toile;
Garde ainsi que jamais le prodigue pinceau
N'y jette de lumière un trop vaste faisceau;
Que les objets tracés reflètent de leurs places
La lumière reçue à différens espaces;
Mesure l'ombre au corps, moins d'ombre y doit tomber
S'il le faut aplatir, et plus pour le bomber;
Sache affaiblir les jours, sache éclairer les ombres,
Que ce passage heureux des tons clairs aux tons sombres
Se laisse sur la toile à peine apercevoir;
Tel le jour croît vers l'aube ou décroît vers le soir;
Telle alors à nos yeux la mobile atmosphère
Presqu'insensiblement s'obscurcit ou s'éclaire.

Tourne ici tes regards, entre dans ce palais
Où sur ces murs savans, par l'accord des reflets,
Rubens De Médicis fait resplendir les fastes,
Fait jouer des couleurs les habiles contrastes;
Ce sont là tes leçons: des ombres et des jours
Sa main t'enseignera l'harmonieux concours;
Phénomène immortel, astre de la peinture,
La couleur sous ses doigts s'embellit et s'épure;
Prévenant les effets du tems qui la dissout,
Comme il a coloré chaque objet pour le tout !
Porte un oeil curieux sur ces riches images,
De la lumière à l'ombre admire ces passages;
Ou si tu veux encore un guide plus vanté,
Prends celui que Rubens lui-même a consulté.

Dans ce savant accord, peintre, ou toi qui veux l'être,
Le ciel est ton école et le soleil ton maître;
Confronte ton ouvrage et son cours lumineux;
Selon que chaque zône incline vers ses feux,
De rayons inégaux il sème sa carrière;
Ne montre, comme lui, qu'un centre de lumière,
Que la vive clarté qui part de ce foyer
Passe et se communique au tableau tout entier.
Comme une voix brillante et son timbre sonore
Ajoute à l'harmonie et l'embellit encore,
Ainsi du coloris le phosphore divin
Jette un éclat plus vif sur les traits du dessin;
Ces raisins sont tracés et n'ont rien qui me frappe,
Mais colorez ces grains, je vais cueillir la grappe.
Tu créas le dessin, amour; c'est encor toi
Qui vas du coloris nous enseigner la loi.
Ô champs de Sicyone ! ô rive toujours chère !
Tu vis naître à la fois Dibutade et Glycère.

Glycère de sa main assortissant les fleurs,
Instruisit Pausias dans l'accord des couleurs;
Tandis qu'elle tressait ces festons, ces guirlandes
Qui servaient aux autels de parure et d'offrandes,
Son amant les traçait d'un pinceau délicat,
Égalait sur la toile et fixait leur éclat;
Le peintre aima Glycère et l'art brilla par elle.
Ô couleur du jeune âge ! ô des fleurs la plus belle !
Un sang pur sur ce teint répandant la fraîcheur,
Par un tendre incarnat relève sa blancheur;
À ce rayon divin sur des formes humaines
Le coeur bat, l'oeil se trouble, un feu court dans les veines.

Mais quel vase léger et rempli de carmin
Thémire à ce miroir tient ouvert sous sa main !
Elle prend le pinceau, mais la toile !... ah ! Thémire !
Thémire, arrête donc: eh, quel est ton délire ?
J'ajoute à mes appas... qu'ajouter à des fleurs ?
De la nature ainsi ternis-tu les couleurs ?
Hélas ! à peine as-tu dans les jeux de ton âge
Vu seize fois encor renaître le feuillage,
Les usages déjà, ces tyrans indiscrets,
Par ce faux vermillon profanent tes attraits;
Imite, imite églé; dans cet âge qui vole,
De l'aimable pudeur conservant le symbole,
Au lever du soleil, à l'approche du soir,
La mousse pour toilette, un ruisseau pour miroir,
Contre un saule penchée, au bord d'une onde pure,
Du hâle sur son teint elle efface l'injure.

Thémire... ce carmin désormais innocent,
Qu'aux mains de la peinture il deviendra puissant !
Du tems sur ton visage il eût marqué les traces;
Étendu sur la toile, il va fixer tes grâces.
Célèbre Titien, par quel charme inspiré
Tu colores les traits de ce sexe adoré !
Quand des cieux descendue en des réduits champêtres
Vénus cherche Adonis à l'ombre de ces hêtres,
Et laissant dans le bois les amours à l'écart,
Du chasseur incertain retarde le départ;
Lorsqu'aux bras d'un amant la déesse s'enlace,
Comme son front rougit et s'enflamme avec grâce !

Je vois dans son oeil bleu le doux feu du saphir;
Ainsi, quand le soleil se peint dans le nuage,
Le guèbre à deux genoux confond l'astre et l'image.
Est-ce toi, Danaé ? Ton père en son effroi,
Élève un mur d'airain entre l'amour et toi;
Ah ! Si toujours ce dieu dans sa maligne joie
Trompa l'homme par l'homme et sut ravir sa proie,
Que feront la prudence et les soins d'un mortel
Contre tout le pouvoir de l'amour et du ciel ?
Par jets l'or séducteur pleut du céleste ceintre,
Mais la ruse du dieu ne vaut pas l'art du peintre.
Des rivages de l'Hèbre et des sommets d'Hémus,
Accourez, accourez, suivantes de Bacchus,
Foulez d'un pied léger les campagnes de Thrace,
De vos pas cadencés dérobez-nous la trace;
Des sistres éclatans et du bruyant clairon
Le pinceau de l'artiste a marqué jusqu'au son.
À nous peindre les cieux peu de mains sont habiles;
Signale tes pinceaux dans ces plaines mobiles;
Tout dépend de cet art: de reflets en reflets
C'est le ciel qui commande au reste des objets.

Avant que d'y porter une main téméraire,
Parcours long-tems des yeux les champs de l'atmosphère,
Conforme la couleur à ce fond transparent;
Sur ce vague subtil, sur ce fluide errant
Qui partout environne et balance la terre,
Ne laisse du pinceau qu'une trace légère;
Fais plus sentir que voir l'impalpable élément,
Si tu sais peindre l'air, tu peins le mouvement.

Un ange descend-il des voûtes éternelles ?
Si je le reconnais ce n'est point à ses ailes;
Qu'insensible en son vol sa molle agilité
Revêtisse les airs et leur fluidité;
Qu'il ressemble, au milieu de la céleste plaine,
Au nuage argenté que le zéphyr promène.
Loin ces anges pesans qui dans un air épais
Semblent au haut du ciel nager sur des marais,
Qui de leurs membres lourds surchargent l'air qu'ils fendent,
Et qui tombent des cieux plutôt qu'ils n'en descendent.
Sous le signe brûlant de la jeune Procris,
Promenant ma pensée en des vallons fleuris,
De la voûte du ciel la scène inattendue
Vers le déclin du jour frappa soudain ma vue;
Dans les flancs du midi l'orage était formé,
Par les feux du soleil le couchant enflammé;
Le nuage avançait, l'astre qui nous éclaire
Lui disputait les cieux par cent jets de lumière;
Pendant ce long combat de la nuit et du jour,
Vers l'Orient serein, Diane de retour,
Faisait luire son disque, et sa paisible image
Servait de demi-teinte entre l'astre et l'orage.

Quelle est l'âme sans verve et quel est le pinceau
Que n'enflammera pas l'aspect de ce tableau !
Quelle indolente main pour en fixer la trace,
De la voûte changeante attendra qu'il s'efface ?

Le spectacle des airs et l'étude des cieux
Sans lasser ta pensée ont fatigué tes yeux;
Baisse-les vers ces lacs, tu verras la nature
Elle-même se peindre au cristal d'une eau pure;
Ce grand ceintre des airs sur ta tête enrichi
Se renverse et s'enfonce à tes pieds réfléchi.
Peins les airs dans les eaux, le cours des deux fluides
Et le ciel vacillant sous ces ondes limpides,
Ces flèches de lumière et leurs jets différens
Brisés contre la rive ou dans l'eau pénétrans,
Ces deux soleils levés que Neptune offre au monde,
Un globe à l'horizon et l'autre orbe dans l'onde;
De la mer en courroux ose braver l'effort,
Sois le dernier qui tremble, un dieu veille à ton sort;
Tandis que l'air, les vents et la mer sont aux prises,
Vois des flots suspendus les formes indécises;
Recueille en ton esprit, malgré l'effroi des sens,
Ces flots amoncelés ni fixes, ni tombans;
Observe sous la vague et sauvé du naufrage,
Mais plein de la tempête, alors peins du rivage.
Qu'entends-je ? ô doux accens ! ô sons harmonieux !
Concert digne en effet de l'oreille des dieux !
Les lauriers toujours verts dont le Pinde s'ombrage
Agitent de plaisir leur sensible feuillage;
Dans quel contraste heureux sont modulés les sons !
Ainsi dans les couleurs sache opposer les tons.

Cet art est difficile et veut plus d'une veille,
La musique est image et doit peindre à l'oreille,
Toi fais de la peinture un concert à nos yeux.
Arts tous deux si puissans, quel noeud mystérieux,
Quelle secrète loi l'un à l'autre vous lie ?
Cette chaîne, ô Neuton ! échappe à ton génie;
Tu dégages les cieux des atômes pressés,
De tous ces tourbillons par Descarte entassés;
La lumière en passant sans cesse réfractée
Par des chocs trop fréquens devait être arrêtée;
Ton immortel compas a tracé les sillons
Par où jusqu'à la terre elle épand ses rayons;
Mais quel est ce rapport du son à la lumière ?
Dalembert, c'est à toi d'expliquer ce mystère;
Recule cette borne où s'arrêta Neuton,
Dis en quels points communs la lumière et le son
Dirigés l'un vers l'autre en leur course rapide
Se meuvent de concert dans le même fluide;
Indique-nous du moins dans quels mondes jaloux
S'entend cette harmonie encor sourde pour nous.

L'industrieux Castel, de ce jour qu'on ignore,
Fit peut-être à nos yeux luire une faible aurore.
Il élève en buffet l'instrument argentin
Où l'art ingénieux d'une mobile main,
Interroge l'ébène et l'ivoire harmonique,
Au bout de chaque touche un long fil élastique
Répond à des rubans l'un sur l'autre pliés,
Et selon que la main par des tons variés
Sait diriger les sons que la corde renvoie,
Plus haut chaque tissu s'entrouvre, se déploie,
Et, du pourpre, du vert, de l'orangé, du bleu,
Fait retentir à l'oeil le passage et le jeu.

Mais que l'astre du jour après un long orage
Dans d'humides vapeurs lance au loin son image,
Qu'il montre à nos regards si doucement surpris
Ses rayons divisés sur l'écharpe d'Iris,
Ce grand arc qui des cieux traverse l'étendue,
Ce prisme suspendu dont s'embellit la nue,
Où par d'heureux accords cette couleur qui luit
Tient du ton qu'elle quitte et du ton qui la suit,
Où par l'effet d'un art invisible et suprême
Cette teinte n'est plus et semble encor la même,
Où laissant voir partout d'insensibles rapports
Le contraste des tons ne paraît qu'aux deux bords,
Aux campagnes du ciel oculaire harmonie
Du concert des couleurs te montre le génie.

D'un regard créateur approfondis ces lois,
Que ce sublime accord renaisse sous tes doigts,
Et pour faire briller une toile immortelle
Voyage en des climats où la nature est belle.
Quand les dieux exilés de la céleste cour
Descendirent jadis au terrestre séjour;
Errans et travestis, les lieux qu'ils habitèrent
D'une couleur plus vive aussitôt s'animèrent,
Un air, un ciel plus purs, des beaux jours plus constans
Dans ces climats heureux fixèrent le printems;
Apollon vit pour lui s'orner la Thessalie,
Mars les bords du Strymon, et Vénus l'Italie.
Honorés par leurs pas, ces magnifiques lieux
Gardent la trace encor du passage des dieux.

Jeune homme, vois l'aspect que ton ciel te présente,
Fuis Paris, Londre et Vienne, et leur zône pesante,
Fuis; tes travaux sans nerf, tes pinceaux sans éclat
Porteraient au tableau l'oeil terne du climat;
Vole aux champs d'Ausonie, aux rochers helvétiques,
Aux bords de la Durance, aux climats germaniques;
Vois l'aspect si frappant de ces monts empourprés,
Ces pierres, ces terrains fortement colorés;
C'est dans le sein veiné de ces vastes retraites,
C'est là que la nature apprêta tes palettes.

 

 


Antoine-Marin Lemierre

 

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