Clément Marot (1496-1544)
Recueil: L'Adolescence clémentine (1532) - Epistre VIII

Epistre pour le capitaine Bourgeon
  À monsieur de la Rocque



Comme à celluy, en qui plustost j'espere;
Et que je tiens pour Pere et plus que Pere,
A vous me plaings par cest escript legier,
Que je ne puis de Paris desloger,
Et si en ay vouloir tel, comme il faut:
Mais quoy? c'est tout: la reste me deffault,
J'entens cela qui m'est le plus duisant.
Mais que me vault d'aller tant devisant?
Venons au point: vous sçavez sans reproche,
Que suis boyteux, au moins comment je cloche:
Mais je ne sçay, si vous sçavez, comment
Je n'ay Cheval, ne Mulle, ne Jument.
Par quoy Monsieur je le vous fais sçavoir,
A celle fin que m'en faciez avoir:
Ou il faudra (la chose est toute seure)
Que voyse à pied, ou bien que je demeure.
Car en finer je me m'attendz d'ailleurs.
Raison pourquoy? Il n'est plus de bailleurs,
Si non de ceulx lesquelz dormiroient bien.
Si vous supply, le trescher Seigneur mien,
Baillez assez, mais ne vueillez dormir.
Quand Desespoir me veult faire gemir,
Voicy comment bien fort de luy me mocque:
O Desespoir, croy que soubz une rocque,
Rocque bien ferme, et pleine d'asseurance,
Pour mon secours est caché Esperance:
Si elle en sort, te donnera carriere,
Et pource donc reculle toy arriere.
Lors Desespoir s'en va seignant du nez,
Mais ce n'est rien, si vous ne l'eschinez:
Car aultrement jamais ne cessera
De tormenter le bourgeon, qui sera
Tousjours bourgeon, sans Raisin devenir,
Sil ne vous plaist de luy vous souvenir.




Clément Marot

 

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