Clément Marot (1496-1544)
Recueil: L'Adolescence clémentine (1532) - Epistre IX

Epistre faicte pour le Capitaine Raisin,
audict Seigneur de la Rocque



En mon vivant je ne te feiz sçavoir
Chose de moy, dont tu deusses avoir
Ennuy, ou dueil: mais pour l'heure presente,
Trescher Seigneur, il fault que ton cueur sente
Par amytié, et par ceste escripture
Ung peu d'ennuy de ma male adventure.
Et m'attens bien, qu'en maint lieu, où iras,
A mes amys ceste Epistre lyras.
Je ne veulx pas aussi que tu leur celles:
Mais leur diras, Amys, j'ay des nouvelles
D'un malheureux, que Venus la deesse
A forbanny de soulas, et liesse.
Tu diras vray, car maulx me sont venus
Par le vouloir de impudique Venus,
Laquelle feit tant par Mer que par Terre
Sonner ung jour contre femmes la Guerre:
Où trop tost s'est maint Chevalier trouvé
Et maint grand homme à son dam esprouvé,
Maint bon Courtault y fut mis hors d'alaine,
Et maint mouton y laissa de sa laine.
Brief, nul ne peult (soit par Feu, Sang, ou Mine)
Gaigner proffit en guerre feminine:
Car leur ardeur est aspre le possible:
Et leur harnois hault et bas invincible.
Quant est de moy, jeunesse pauvre, et sotte,
Me feit aller en ceste dure flotte
Fort mal garny de lances, et escus.
Semblablement, le gentil Dieu Bacchus
M'y amena accompaigné d'Andoilles,
De gros Jambons, de Verres, et Gargoilles,
Et de bon Vin versé en maint Flascon:
Mais je y receu si grand coup de Faulcon,
Qu'il me fallit soubdain faire la poulle,
Et m'enfuir (de peur) hors de la foulle.
Enfin navré je contemple, et remire,
Où je pourrois trouver souverain Mire:
Et prenant cueur aultre que de malade
Vins circuir les limites d'Archade,
La terre neufve, et la grant Tartarie,
Tant qu'à la fin me trouvay en Surie.
Où ung grand Turc me vint au corps saisir,
Et sans avoir à luy faict desplaisir,
Par plusieurs jours m'a si tresbien frotté
Le Dos, les Rains, les Bras, et le Costé,
Qu'il me convint gesir en une couche
Criant les dentz, le Cueur, aussi la Bouche,
Disant, helas, ô Bacchus puissant Dieu,
M'as tu mené expres en ce chault lieu,
Pour veoir à l'oeil moy le petit Raisin
Perdre le goust de mon proche Cousin ?
Si une fois puis avoir allegeance,
Certainement j'en prendray bien vengeance:
Car je feray une armée legiere
Tant seulement de lances de fougiere,
Camp de Taverne, et pavoys de Jambons,
Et Boeuf sallé, qu'on trouve en mangeant bons,
Tant que du choc rendray tes flascons vuides,
Si tu n'y metz grand ordre, et bonnes guydes.
Ainsi j'eslieve envers Bacchus mon cueur,
Pource qu'il m'a privé de sa liqueur,
Me faisant boyre en chambre bien serrée
Fade Tisane, avecques eau ferrée,
Dont souvent fais ma grand soif estancher.
Voylà comment (ô Monseigneur tant cher)
Soubz l'estendard de fortune indignée
Ma vie feut jadis predestinée.
En fin d'escript, bien dire te le vueil,
Pour adoulcir l'aigreur de mon grand dueil,
(Car dueil caché en desplaisant courage,
Cause trop plus de douleur, et de rage,
Que quand il est par parolles hors mis,
On declairé par lettre à ses Amys)
Tu es des miens le meilleur esprouvé:
Adieu celluy, que tel j'ay bien trouvé.




Clément Marot

 

03clementmarot