Clément Marot (1496-1544)
Recueil: L'Adolescence clémentine (1532) - Epistre I

Epistre de Maguelonne à son Amy
Pierre de Prouvence, elle estant en son hospital



Subscription de l'Epistre

Messaiger de Venus prens ta haulte vollée,
Cherche le seul Amant de ceste desolée:
Et quelque part qu'il rie, ou gemisse à present,
De ce piteux escript fais luy ung doulx present.
La plus dolente, et malheureuse femme,
Qui oncq entra en l'amoureuse flamme
De Cupido, mect ceste. Epistre en voye,
Et par icelle (amy) salut t'envoye,
Bien congnoissant, que despite Fortune,
Et non pas toy, à present me infortune;
Car si tristesse avecques dur regret
M'a faict jecter maint gros souspir aigret,
Certes je sçay; que d'ennuy les alarmes.
T'ont faict jecter maintesfois maintes larmes.
O noble cueur, que je voulu choisir.
Pour mon Amant, ce n'est pas le plaisir
Qu'eusmes alors, qu'en la maison Royalle
Du Roy mon Pere à t'amye loyalle
Parlementas, d'elle tout vis à vis:
Si te prometz, que bien m'estoit advis,
Que tout le bien du Monde, et le deduit
N'estoit que dueil, pres du gracieux fruict
D'un des baisers, que de toy je receuz:
Mais noz espritz par trop feurent deceuz,
Quand tout soubdain la fatalle Deesse
En deuil mua nostre grande lyesse,
Qui dura moins que celle de Dido:
Car tost apres que l'enfant Cupido
M'eust faict laisser mon Pere puissant Roy,
Vinsmes entrer seuletz en desarroy
En ung grand boys, où tu me descendis,
Et ton manteau dessus l'herbe estendis,
En me disant, m'amye Maguelonne,
Reposons nous sur l'herbe qui fleuronne,
Et escoutons du Rossignol le chant.
Ainsi fut faict. Adonc en arrachant
Fleurs, et boutons de beaulté tresinsigne,
Pour te monstrer de vray Amour le signe,
Je les gettoys de toy à l'environ,
Puis devisant m'assis sur ton giron:
Mais en comptant ce qu'avions en pensée,
Sommeil me print, car j'estois bien lassée.
Finablement m'endormy pres de toy,
Dont contemplant quelque beaulté en moy,
Et te sentant en ta liberté franche,
Tu descouvris ma poictrine assez blanche,
Dont de mon sein les deux pommes pareilles
Veis à ton gré, et tes levres vermeilles
Baiserent lors les miennes à desir.
Sans vilainie, en moy prins ton plaisir
Plus que ravy, voiant ta doulce amye
Entre tes bras doulcement endormye.
Là tes beaulx yeux ne se pouvoient saouler:
Et si disois (pour plus te consoler)
Semblables motz en gemissante alaine.
O beau Pâris, je ne croy pas que Helaine,
Que tu ravis par Venus dedans Grece,
Eust de beaulté autant que ma Maistresse:
Si on le dit, certes ce sont abus.
Disant ces motz, tu vis bien que Phebus
Du hasle noir rendoit ma couleur taincte,
Dont te levas, et couppas branche mainte,
Que tout au tour de moy tu vins estendre
Pour preserver ma face jeune, et tendre.
Helas Amy, tu ne sçavoys que faire
A me traicter, obeir, et complaire,
Comme celluy duquel j'avoys le cueur.
Mais ce pendant, ô gentil Belliqueur,
Je dormois fort, et Fortune veilloit:
Pour nostre mal las elle travailloit.
Car quand je fuz de mon repos lassée,
En te cuidant donner une embrassée,
Pour mon las cueur grandement consoler,
En lieu de toy, las je veins accoler
De mes deux bras la flairante ramée,
Qu'autour de moy avoys mise, et sernée,
En te disant, mon gracieux Amy,
Ay je point trop à vostre gré dormy ?
N'est il pas temps, que d'icy je me lieve ?
Ce proferant, ung peu je me soublieve,
Je cherche, et cours, je reviens, et puis voys,
Au tour de moy je ne veis que les boys,
Dont maintefois t'appelay Pierre, Pierre,
As tu le cueur endurcy plus que Pierre,
De me laisser en cestuy boys absconse ?
Quand de nully n'eu aulcune responce,
Et que ta voix point ne me reconforte,
A terre cheuz, comme transie, ou morte:
Et quand apres mes langoreux espritz
De leur vigueur furent ung peu surpris,
Semblables motz je dis de cueur, et bouche.
Helas amy, de prouesse la souche,
Où es allé ? Es tu hors de ton sens,
De me livrer la douleur que je sens
En ce boys plein de bestes inhumaines ?
M'as tu osté des plaisances mondaines,
Que je prenoys en la maison mon Pere,
Pour me laisser en ce cruel repaire ?
Las qu'as tu faict, de t'en partir ainsi ?
Penses tu bien que puisse vivre icy ?
Que t'ay je faict, ô cueur lasche, et immunde ?
Se tu estoys le plus noble du Monde,
Ce vilain tour si rudement te blesse,
Qu'oster te peult le tiltre de noblesse.
O cueur remply de fallace, et fainctise,
O cueur plus dur, que n'est la roche bise,
O cueur plus faulx, qu'oncques nasquit de Mere !
Mais responds moy à ma complaincte amere.
Me promis tu en ma chambre parée,
Quand te promis suivre jour, et serée,
De me laisser en ce boys en dormant ?
Certes tu es le plus cruel amant
Qui oncques feut, d'ainsi m'avoir fraudée.
Ne suis je pas la seconde Mëdée ?
Certes ouy: et à bonne raison
Dire te puis estre l'aultre Jason.
Disant ces motz, d'ung animé courage,
Te voys querant, comme pleine de rage,
Parmy les boys, sans doubter nulz travaulx:
Et sur ce point rencontray noz chevaulx
Encor liez, paissans l'herbe nouvelle,
Dont ma douleur renforce, et renouvelle:
Car bien congneu, que de ta voulenté
D'avecques moy ne t'estoys absenté.
Si commençay, comme de douleur taincte,
Plus que devant faire telle complaincte.
Or voy je bien (Amy) et bien appert,
Que maulgré toy en cestuy boys desert
Suis demourée. O fortune indecente,
Ce n'est pas or, ne de l'heure presente,
Que tu te prens à ceulx de haulte touche,
Et aux loiaulx. Quel rancune te touche ?
Es tu d'envie entachée, et pollue,
Dont nostre amour n'a esté dissolue ?
O cher amy, ô cueur doulx, et begnin,
Que n'ay je prins d'Atropos le venin
Avecques toy ? vouloys tu que ma vie
Fust encor plus cruellement ravie ?
Je te prometz qu'oncques à creature
Il ne survint si piteuse adventure.
Et à tort t'ay nommé, et sans raison
Le desloyal, qui conquist la toison:
Pardonne moy, certes je m'en repens.
O fiers Lyons, et venimeux Serpens,
Crapaulx enflez, et toutes aultres bestes
Courez vers moy, et soyez toutes prestes
De devorer ma jeune tendre chair,
Que mon amy n'a pas voulu toucher
Qu'avec honneur. Ainsi morne demeure
Par trop crier, et plus noir que meure,
Sentant mon cueur plus froid que glace, ou marbre:
Et de ce pas montay dessus ung arbre
A grand labeur. Lors la veue s'espart
En la forest: mais en chascune part
Je n'entendy que les voix treshydeuses,
Et hurlemens des bestes dangereuses.
De tous, costez regardois, pour sçavoir
Si le tien corps pourroie apparcevoir,
Mais je ne vy que celluy boys saulvage,
La Mer profonde, et perilleux rivage,
Qui durement feit mon mal empirer.
Là demouray (non pas sans souspirer)
Toute la nuict: ô Vierge treshaultaine,
Raison y eut, car je suis trescertaine,
Qu'oncques Thisbé, qui à la mort s'offrit
Pour Piramus, tant de mal ne souffrit.
En evitant que les Loups d'adventure
De mon corps tien ne feissent leur pasture,
Toute la nuict je passay sans dormir
Sur ce grand arbre, où ne feis que gemir:
Et au matin que la clere Aurora
En ce bas Monde esclercy le jour a,
Me descendy, triste, morne, et pallie,
Et noz chevaulx en plourant je deslye
En leur disant: ainsi comme je pense
Que vostre Maistre au loing de ma presence
S'en va errant par le Monde en esmoy,
C'est bien raison, que (comme luy, et moy)
Alliez seuletz par boys, plaine, et campaigne.
Adonc rencontre une haulte montaigne:
Et de ce lieu, les Pelerins errans
Je pouvois veoir, qui tiroient sur les rengs
Du grand chemin de Romme saincte, et digne.
Lors devant moy 'vey une Pelerine,
A qui donnay mon Royal vestement
Pour le sien pouvre: et des lors promptement
La tienne amour si m'incita grant erre
A te chercher en haulte Mer, et Terre:
Où maintesfois de ton nom m'enqueroie,
Et Dieu tout bon souvent je requeroie,
Que de par toy je feusse rencontrée.
Tant cheminay, que vins en la contrée
De Lombardie, en soucy tresamer:
Et de ce lieu me jectay sur la Mer,
Où le bon vent si bien la Nef avance,
Qu'elle aborda au pays de Prouvence:
Où mainte gent, en allant, me racompte
De ton depart: et que ton pere Conte
De ce pays durement s'en contriste:
Ta noble Mere en a le cueur si triste,
Qu'en desespoir luy conviendra mourir.
Penses tu point doncques nous secourir ?
Veulx tu laisser ceste pauvre loyalle
Née de sang, et semence Royalle
En ceste simple, et miserable vie ?
Laquelle encor de ton Amour ravie,
En attendant de toy aulcun rapport,
Ung hospital a basty sur ung port
Dict de sainct Pierre, en bonne souvenance
De ton hault nom: et là prend sa plaisance
A gouverner, à l'honneur du hault Dieu,
Pauvres errans malades en ce lieu:
Ou j'ay basty ces myens tristes escriptz
En amertume, en pleurs, larmes, et crys,
Comme peulx veoir, qu'ilz sont faictz, et tissus:
Et si bien voys la main, dont sont yssus,
Ingrat seras, si en cest hospital,
Celle qui t'a donné son cueur total,
Tu ne viens veoir: car Virginité pure
Te gardera, sans aucune rompure:
Et de mon corps seras seul joyssant.
Mais s'ainsi n'est, mon aage florissant
Consummeray sans joye singuliere
En pauvreté, comme une hospitaliere.
Doncques (Amy) viens moy veoir de ta grâce.
Car tiens toy seur, qu'en ceste pauvre place
Je me tiendray, attendant des nouvelles
De toy, qui tant mes regretz renouvelles.
Rondeau, Duquel les
lettres Capitales portent le nom de l'autheur
Comme Dido, qui moult se courrouça,
Lors qu'Eneas seule la delaissa
En son Païs: tout ainsi Maguelonne
Mena son dueil: comme tressaincte; et bonne,
En l'hospital toute sa fleur passa.
Nulle fortune oncques ne la blessa:
Toute constance en son cueur amassa,
Mieulx esperant: et ne fut point felonne,
Comme Dido.
Aussi celluy, qui toute puissance a,
Renvoya cil, qui au boys la laissa,
Où elle estoit: mais quoy qu'on en blasonne,
Tant eut de dueil, que le Monde s'estonne,
Que d'un cousteau son cueur ne transpersa,
Comme Dido.

 


Clément Marot

 

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