Virgile (-70 à -19)

Enéide - Livre Douzième



QUAND Turnus voit que les Latins, abattus par leurs revers, languissent sans forces et sans courage ; que toutes les voix l’appellent à remplir enfin ses promesses ; que tous les yeux sont attachés sur lui : sa fougue irritée s’emporte en bouillantes menaces, et sa fierté n’en est que plus altière. Comme, aux champs de la Numidie, un fier lion, atteint par les chasseurs d’une blessure profonde, déploie soudain ses redoutables armes, secoue en bondissant les longs crins de son cou nerveux, rompt sans peur le dard enfoncé dans ses flancs, et, rugissant de rage, présente à ses vainqueurs une gueule ensanglantée : tel, enflammé de colère, éclate l’impétueux Turnus.

Il s’adresse au vieux monarque ; et, plein du transport qui l’agite. « Turnus est prêt, s’écrie-t-il ; plus ce de prétextes pour les lâches Phrygiens de violer la foi promise, et de fouler aux pieds leurs serments. Je descends dans l’arène. Dressez l’autel du sacrifice, prince auguste, et dictez le pacte sacré. Que les Latins immobiles restent spectateurs du combat : ou mes coups précipiteront aux enfers l’infâme Troyen, déserteur de l’Asie, et seul j’aurai vengé par le glaive la querelle commune ; ou la victoire lui soumettra les vaincus, Lavinie sera sa conquête. »

Latinus plus calme lui répond avec bonté : « Héros magnanime, plus votre grand cœur s’abandonne à ses nobles élans, plus ma sagesse doit écouter pour vous les conseils de la prudence, et balancer avec inquiétude les hasards de vos destinées. Fils de Daunus, son empire est votre apanage ; vous avez pour domaines de nombreuses cités conquises par votre vaillance ; Latinus vous aime, et ses trésors sont à vous : mais le Latium, mais Laurente et son territoire, possèdent d’autres beautés dont l’hymen peut tenter un roi, et dont l’illustre origine n’est pas indigne de la vôtre. Souffrez un aveu qui me coûte, mais que la vérité m’arrache. Le ciel me défendait d’unir à ma fille aucun de ceux qui les premiers me demandèrent sa main : ainsi l’annonçaient les oracles et des dieux et des hommes. Vaincu par ma tendresse pour vous, vaincu par les liens du sang, et par les larmes d’une épouse désolée, j’ai brisé les nœuds les plus saints, j’ai rompu l’hyménée promis, j’ai levé l’étendard d’une guerre sacrilège. Depuis ce moment fatal, vous voyez, Turnus, quels malheurs me poursuivent, quelles guerres cruelles dévastent mes états, quels affreux périls vous courez vous-même tous les jours. Défaits dans deux grands combats, nous soutenons à peine à l’ombre de ces murailles l’espoir douteux de l’Italie ; les eaux du Tibre fument encore de notre sang, et nos vastes campagnes sont blanchies des ossements de nos guerriers. Quel vertige me fait changer sans cesse ? quelle folle inconstance se joue de ma raison ? Si, Turnus expiré, je puis associer un jour Pergame à l’Ausonie ; ne puis-je, sans qu’il périsse, mettre un terme à leurs discords ? Que diraient les Rutules, mes plus fidèles alliés ; que dirait l’Italie entière, si ma faiblesse (puisse le ciel détourner ce présage !) vous livrait à la mort, pour prix d’avoir recherché ma fille et demandé mon alliance ? Songez au sort incertain des armes : ayez pitié d’un père accablé de vieillesse, et qui, loin de vous dans Ardée, pleure en ce moment votre absence. »

Ces mots ne calment point la violence de Turnus : son cœur ulcéré s’enflamme davantage, et le remède même en aigrit la blessure. Dès qu’il peut parler, il réplique en ces termes : « Ces tendres soins que vous inspire mon salut, daignez, prince, les épargner à votre sollicitude ; et souffrez que je sauve ma gloire aux dépens de mes jours. Mon bras aussi sait manier le fer, sait lancer des traits vainqueurs ; et le sang, plus d’une fois, a suivi leur blessure. Ce fils d’une déesse n’aura pas toujours Vénus à ses côtés, pour couvrir d’un nuage la honte de sa fuite, et se cacher elle-même au sein d’une ombre vaine. »

Cependant, effrayée des hasards du nouveau combat qui s’apprête, la reine fondait en larmes, et, le désespoir dans l’âme, retenait de ses mains tremblantes l’impétueux guerrier : « Turnus, ah ! si mes pleurs vous touchent, si l’honneur d’Amate vous est cher, arrêtez, je vous en conjure : arrêtez, ô vous l’unique espoir de ma vieillesse, vous ma seule consolation dans mes peines, vous l’appui de Latinus, de son empire et de sa gloire, vous, enfin, sur qui se fonde toute entière une illustre maison, prête à tomber sans vous. Au nom de tous les dieux ! n’allez pas mesurer vos armes contre les armes du Troyen. Quels que soient les périls que cette lutte vous réserve, ces périls sont les miens, Turnus : avec vous, j’abandonne une vie odieuse ; et je ne verrai pas, captive d’un brigand, ma fille dans les bras d’Énée. »

Ce discours d’une mère arrache des larmes à Lavinie : ses joues brûlantes en sont baignées. Un feu subit les colore d’une rougeur modeste, et court en traits de flamme sur son front virginal. Comme éclate l’ivoire, dont la pourpre a nuancé l’albâtre ; comme rougit la blancheur des lis, mêlés à l’incarnat des roses : tel brillait, sur le visage de la jeune princesse, le fard aimable de la pudeur. Le héros, transporté d’amour, cherche en vain sa raison. Il dévore des yeux tant de charmes. Sa fureur guerrière s’en accroît ; et s’adressant à la plaintive Amate : Cessez, de grâce, ô ma mère ! cessez de m’opposer vos larmes ; et qu’un présage sinistre ne ferme point à mon audace le champ périlleux du courage : non ; dût-il périr, Turnus ne peut plus différer. Vole, Idmon, messager fidèle ; porte à l’insolent Phrygien ce cartel, qui rabattra son orgueil : demain, dès que l’Aurore, montée sur son char vermeil, aura rougi les cieux, qu’il s’abstienne de mener ses bandes contre mes bataillons ; que les Troyens et les Rutules laissent reposer leurs armes ; que mon sang ou le sien termine enfin la guerre ; que le glaive et la mort nomment l’époux de Lavinie. »

Il dit ; et plus prompt que l’éclair, il vole à son palais, demande ses coursiers, et frémit dé plaisir en voyant leur ardeur : ces coursiers généreux, Pilumnus les reçut jadis en présent de la belle Orithye ; moins blanche est la neige, moins légers sont les vents ; autour d’eux s’empressent leurs conducteurs fidèles, dont la main caressante se promène sur leur poitrail, et peigne leurs crins flottans. Lui-même il revêt ses épaules d’une brillante cuirasse, où se marient l’or pur et le bronze argenté : en même temps, il ajuste et son large pavois, et son cimier qu’ombragent deux panaches de pourpre, et sa foudroyante épée, cette épée héréditaire, que forgea pour Daunus le dieu du feu lui-même, et qu’il trempa bouillante dans les eaux du Styx. Le long d’une colonne immense pendait sous ses lambris une énorme javeline, dépouille du fier Actor le plus vaillant des Auronques : il la saisit d’une main robuste, la balance avec force, et s’écrie d’une voix terrible : « Allons, ô toi qui ne trompe jamais l’appel de ma valeur, allons, ô ma lance ! voici l’heure des nobles exploits. Jadis portée par le grand Actor, c’est le bras de Turnus qui te porte aujourd’hui. Fais que j’abatte mon odieux rival ; que j’arrache à ce vil Phrygien sa cuirasse impuissante, déchirée sous mes coups ; que je traîne dans la fange ses cheveux efféminés, dont un fer brûlant arrondit les boucles légères, et dont la myrrhe odorante a parfumé les nœuds. »

Ainsi Turnus exhale ses fureurs : son visage ardent jette des étincelles ; le feu pétille dans ses yeux enflammés. Tel, appelant les combats, un taureau superbe pousse d’horribles mugissements : ses cornes menaçantes essayent leur colère contre le tronc d’un chêne : il frappe l’air de ses coups, et, du pied soulevant l’arène, prélude à des chocs plus affreux. Non moins terrible sous l’armure maternelle, le fils d’Anchise à son tour aiguillonne son courage, s’excite à la vengeance, et s’applaudit d’un accord qui met fin à la guerre. Pour rassurer ses chefs, pour consoler Iule alarmé, il leur annonce les grands destins qui l’attendent ; et de prompts courriers, par ses ordres, vont porter aux Latins sa réponse immuable, et proposer au vieux monarque les conditions de la paix.

Le lendemain, à peine le jour naissant dorait de ses premiers rayons la cime des montagnes ; à peine les coursiers du soleil s’élançaient du sein des mers profondes, et soufflaient de leurs larges naseaux la flamme et la lumière : déjà marquant la lice sous les remparts de la ville, les chefs des deux partis préparaient le champ du combat. Au milieu sont placés les feux du sacrifice, et des autels de gazon, érigés aux dieux communs de Laurente et de Troie : des prêtres, voilés de lin, et le front couronné de verveine, s’avancent portant l’eau sainte et la flamme sacrée. Les portes s’ouvrent : les légions latines défilent en colonnes, et leurs bataillons hérissés de piques se déploient dans la plaine : vis-à-vis accourent de leurs retranchements et les phalanges troyennes et les escadrons étrusques, reconnaissables à leurs armures diverses : tous marchent étincelants de fer, comme si le dieu des batailles les appelait à ses luttes sanglantes. À la tête de ces nombreuses cohortes, on voit voler de rangs en rangs les chefs des deux armées, brillants d’or et de pourpre : c’est Mnesthée, généreux sang d’Assaracus ; c’est le vaillant Asylas ; c’est Messape, ce dompteur des coursiers ; Messape, dont Neptune est le père. Au signe de la trompette, un vaste espace a séparé les deux camps : les guerriers immobiles enfoncent dans la terre leurs longues javelines, et déposent leurs boucliers. Alors, pour voir ce grand spectacle, de tous côtés se précipitent et les mères tremblantes, et la foule inhabile aux armes, et les vieillards courbés sous le poids des ans : ils inondent les créneaux des tours, ils assiègent le sommet des toits ; et, debout sur les portes, ils en hérissent au loin le faîte.

Mais, de ce mont qu’Albe illustra depuis, de ces hauteurs jadis sans nom, sans honneur et sans gloire, la reine des dieux, portant ses regards sur la plaine, contemplait le champ de bataille, et les deux armées rivales, et les remparts de Latinus. Tout à coup la déesse aborde la sœur de Turnus, cette Nymphe qui préside aux étangs paisibles, aux fleuves retentissans, et que le maître de l’Olympe dota de cet empire honorable pour prix des faveurs qu’il en avait reçues : « Nymphe, ornement des fleuves, et chère à ma tendresse ! tu le sais, de toutes les filles du Latium que Jupiter fit monter dans sa couche parjure, nulle moins que toi n’éprouva mon courroux ; et je me plus à t’appeler moi-même au rang des immortelles. Eh bien ! connais ton malheur, Juturne, et n’accuse point Junon. Tant que le sort a semblé le permettre, tant que les Parques ont vu sans colère la prospérité des Latins, j’ai protégé Turnus et tes murs favoris. Aujourd’hui Turnus, hélas ! court affronter une lutte inégale : l’heure des Parques approche, et déjà s’est levé le bras de fer du destin. Non, je ne puis voir, sous mes yeux, ce combat cruel, cet accord impie. Toi, si l’amour d’un frère inspire ton courage, qui t’arrête ? ose tout : peut-être le hasard servira l’infortune. » À ces mots, un torrent de larmes coule des yeux de Juturne : trois fois, de sa main tremblante, elle meurtrit son sein délicat. « Ce n’est pas le moment des pleurs, reprit la fille de Saturne. Vole, et, s’il est possible, arrache un frère à la mort : vole, dis-je ; rallume les combats, romps un pacte odieux ; c’est Junon qui t’en presse. » Tels étaient ses conseils. La déesse, en finissant, quitte la Nymphe incertaine, et l’abandonne au trouble douloureux dont son cœur est agité.

Au même instant arrivent les monarques de l’Ausonie. Latinus, dans tout l’éclat du trône, s’avance monté sur un pompeux quadrige : autour de son front radieux brillent douze rayons d’or, symbole du Soleil, dont il est descendu. Ensuite paraît Turnus, porté sur un char que traînent deux chevaux blancs, et balançant dans ses mains deux javelots armés d’un large fer. Non loin marche à son tour le père des Romains, la tige de cette race illustre, Énée, resplendissant de feux sous son bouclier flamboyant et son armure céleste : à ses côtés est le jeune Iule, Iule, autre espérance de la superbe Rome. Le cortège s’arrête au milieu des deux camps : là, vêtu d’un lin sans tache, le grand-prêtre a conduit les victimes, un jeune porc aux soies naissantes, une jeune brebis couverte encore de sa première toison : l’offrande, aux pieds des autels, attend les flammes qui doivent la consumer. Bientôt les princes, les yeux tournés vers l’orient vermeil, présentent d’une main religieuse le froment pur que le sel assaisonne : ils promènent le fer des ciseaux sur le front velu des victimes, et vident sur les brasiers ardens la coupe des libations.

Alors Énée, levant son glaive nu, s’écrie d’une voix pieuse : « Soleil, entends mes vœux ! entends mes vœux, ô terre du Latium, pour qui j’ai pu supporter tant de travaux pénibles ! Et toi, Jupiter tout-puissant ; toi, fille de Saturne, ô Junon ! déesse auguste, aujourd’hui moins contraire ; toi, redoutable Mars, suprême arbitre des combats : soyez témoins de mes serments ! Vous aussi, Fleuves sacrés, Fontaines saintes : vous, habitans immortels du radieux Olympe : vous, dieux et déesses qui peuplez les mers azurées : je vous atteste tous ! Si la fortune et la victoire couronnent l’effort de Turnus, les vaincus, fidèles au traité, iront chercher un asyle dans les remparts d’Évandre : Iule quittera les champs de l’Italie ; et jamais les Troyens parjures, y rapportant la guerre, ne viendront, le fer à la main, troubler la paix de cet empire. Mais si Mars favorable fait triompher mon bras (et puissent les dieux, en qui j’espère, ne pas tromper ce mon attente !), je ne prétends point asservirl’Ausonie aux enfants de Pergame, je ne prétends point usurper le sceptre des Latins. Que les deux peuples, soumis aux mêmes lois, et toujours invincibles, se jurent une éternelle alliance. Je leur donnerai mon culte et mes dieux : que Latinus, en me donnant sa fille, ordonne seul et de la paix et de la guerre ; qu’il commande seul en souverain. Bâti par les Troyens, un autre Dion me recevra dans ses murs, et Lavinie leur donnera son nom. » Énée se tait. Latinus, les yeux au ciel et les mains étendues vers la plaine éthérée, s’exprime à son tour en ces mots : « J’en atteste comme vous, Énée, j’en atteste la Terre, et la Mer et les Cieux ; j’en atteste le couple enfant de Latone, et Janus au double visage, et les puissances de l’Enfer, et les manoirs de l’inexorable Pluton. Que Jupiter m’entende, Jupiter, dont la foudre est le garant des traités ! La main sur les autels, j’en jure et par leurs feux inviolables, et par les dieux qu’on y révère : jamais, quoi que le sort décide, les Latins, rompant la paix, ne briseront les nœuds d’un pacte solennel ; jamais Latinus, entraîné par la force, n’y permettra la moindre atteinte. Que plutôt la terre., engloutie par les ondes, se confonde avec elles dans un affreux déluge ! que plutôt l’Olympe écroulé s’abîme au fond du Tartare ! Ma parole est immuable. Ainsi ce sceptre, qui décore mes mains royales, ne verra plus renaître son feuillage léger, ni sa molle verdure, ni son mobile ombrage, depuis qu’arraché dans les bois au tronc qui le portait, il a quitté la tige maternelle, et dépouillé sous le tranchant du fer sa chevelure et ses rameaux. Jadis arbrisseau flexible, aujourd’hui monument d’un art industrieux, il rayonne enchâssé dans l’or, et, porté par les rois du Latium, il annonce leur pouvoir suprême. » Tels étaient leurs traités, tels étaient leurs serments ; et les chefs des deux armées environnaient leurs princes. Soudain le fer sacré se lève : le sang des victimes égorgées ruisselle sur la flamme ; on arrache encore vives leurs entrailles palpitantes ; de larges bassins les reçoivent, et les autels en sont couverts.

Cependant les Rutules commencent à redouter une lutte incertaine : la crainte et l’espérance les agitent tour à tour : plus ils observent les deux rivaux, moins ils jugent leur vigueur égale. Leur inquiétude augmente, lorsqu’ils aperçoivent l’humble contenance de Turnus, et sa démarche silencieuse, et son air suppliant aux pieds des autels qu’il implore : ils tremblent, en remarquant ses yeux baissés, ses joues livides, son front où la pâleur a terni l’éclat du jeune âge.

Dès que Juturne voit éclater le mécontentement des soldats, et l’esprit flottant de la multitude incliner vers d’autres projets, elle s’élance tout au milieu des bataillons, cachée sous les traits de Camerte ; de Camerte, guerrier célèbre par la noblesse de ses ancêtres, fils renommé d’un père qu’illustra sa valeur, et terrible lui-même en un jour de bataille. Ainsi mêlée parmi les combattans, la Nymphe artificieuse y sème en courant mille adroites rumeurs, et stimule en ces mots les courages ébranlés : « Quelle honte, ô Rutules ! vous souffrez qu’un seul homme s’expose pour toute une armée ! Quoi donc ? sommes-nous moins nombreux, sommes-nous moins vaillants ? Les voilà tous réunis, ces Troyens si braves, et ces fiers Arcadiens, et ces redoutables Toscans, armés contre Turnus sur la foi des oracles : les voilà ; qu’ils nous affrontent corps à corps, et chacun de nous à peine aura son adversaire. Ah ! sans doute, quand Turnus se dévoue pour son peuple, la gloire de ce héros va monter jusqu’aux cieux, et sa mémoire vivra dans tous les âges ; mais nous, sans patrie, sans honneur, il nous faudra ramper sous des maîtres superbes, nous qui, paisibles en ces moments d’alarmes, reposons oisifs près de nos glaives inutiles. »

Elle parle ; tout s’enflamme d’une ardeur belliqueuse : le tumulte s’accroît, un long murmure circule de rangs en rangs. Les Laurentins rougissent de leurs premiers desseins, les Latins ne sont plus les mêmes : ils soupiraient naguère après la fin des combats, après le terme de leurs maux ; maintenant ils ne respirent que la guerre, ils menacent de rompre un pacte qu’ils détestent, et leur pitié gémit sur le triste sort de Turnus.

Au prestige de ses discours, Juturne ajoute encore un prestige plus puissant : elle fait paraître dans les airs un prodige trompeur, dont la merveille achève l d’égarer l’esprit des Ausoniens et les repaît d’un fol espoir. Un aigle au vol rapide fendait les plaines de l’éther, portait la terreur aux oiseaux du rivage, et pressait le bruyant essaim des légions ailées : tout à coup s’abattant sur l’onde, le ravisseur enlève dans ses ongles tranchans un cygne au plumage argenté. À cette vue, les Italiens s’étonnent : soudain, ô surprise nouvelle ! les oiseaux fugitifs, ralliés à grands cris, obscurcissent le ciel de leurs ailes déployées, fondent comme un sombre nuage sur l’ennemi commun, et le poursuivent dans les airs : enfin cédant au nombre, et vaincu par le fardeau qu’il porte, l’oiseau de Jupiter succombe ; il ouvre malgré lui sa serre languissante, laisse tomber sa proie dans les eaux, et s’enfuit au plus haut des nues.

Les Rutules alors saluent d’un cri de joie ce présage qui les flatte, et leur audace se prépare au combat. Tolumnius surtout, Tolumnius, devin fameux, échauffe encore leur ardeur : « Oui le voilà, s’écrie-t-il, voilà le signe favorable que mes vœux ont imploré cent fois. J’accepte l’augure, et reconnais les dieux. Aux armes ! suivez-moi, suivez Tolumnius : osez braver, ô guerriers trop timides, cet insolent étranger dont la menace vous épouvante comme de faibles oiseaux, et dont la rage impunie désole vos rivages. Le brigand va fuir à son tour, et ses voiles déployées l’emporteront au loin sur les mers blanchissantes : vous, unissez vos efforts, serrez vos bataillons, et défendez, le glaive en main, le monarque qu’on vous arrache. »

Il dit, s’avance, et fait voler une flèche acérée sur l’ennemi paisible ; le trait bruyant siffle, et fend les airs de son rapide essor : aussitôt s élève un cri confus, les rangs troublés s’agitent, et le feu de la discorde embrase tous les cœurs. À la tête du groupe où le fer ailé s’adresse, brillaient neuf frères éclatans de jeunesse et de beauté : Gylippe était leur père, et cet illustre Arcadien les dut aux chastes amours d’une épouse Tyrrhénienne : le coup fatal frappe l’un d’eux vers le milieu du corps, à l’endroit où le baudrier flotte sur la ceinture et joint ses deux bords captivés par une riche agrafe : ni le noble port du guerrier, ni son éblouissante armure, ne peuvent le sauver du trépas ; le dard, lui traverse les flancs, et le couche sans vie sur l’arène.

Soudain ses généreux frères, n’écoutant plus que leur courage et leur douleur, saisissent leurs épées, brandissent leur javelots et courent en aveugles à la vengeance. L’armée latine s’ébranle pour les recevoir : au-devant d’elle se précipitent à leur tour les phalanges serrées des Troyens, et les bataillons d’Agylla, et les Arcadiens aux armes colorées. Ainsi la même fureur entraîne les deux camps au carnage. Les autels sont renversés : un nuage de traits s’élève dans les cieux, et retombe en pluie de fer : de toutes parts volent et les coupes sacrées et les brandons fumans. Latinus fuit lui-même, emportant ses dieux outragés, vains garans d’un pacte rompu. L’un attelle son char, l’autre s’élance sur son coursier ; partout le glaive étincelle.

Non loir rayonnait, ceint du bandeau royal, un des monarques de l’Étrurie, le vénérable Auleste : Messape, qu’indignait une paix timide, pousse contre lui son coursier. Le malheureux prince chancelle en reculant, et tombe à la renverse, embarrassé parmi les autels dont sa tête heurta les débris. Messape accourt, l’œil ardent, la lance en arrêt : vainement le vieux roi supplie ; le vainqueur, du haut de son coursier, lui plonge dans la gorge sa longue javeline et s’écrie triomphant : « Qu’il meure ; cette victime plus noble est plus digne des Immortels. » La foule des Latins arrive et dépouille le cadavre encore palpitant.

Ailleurs, Corynée s’arme d’un tison ardent enlevé sur l’autel ; et prévenant Ébuse, qui s’avançait pour le percer, il lui lance au visage le brandon allumé : la longue barbe du Rutule pétille sous la flamme brillante, et l’odeur qui s’en exhale se répand au loin dans les airs. Le Troyen fond à l’instant sur son ennemi troublé, saisit de la main gauche sa blonde chevelure, et, le pressant d’un genou robuste, le tient appliqué sur l’arène : alors se lève le fer impitoyable ; Ébuse le reçoit dans ses flancs. Tandis qu’Alsus, pâtre guerrier, se précipite aux premiers rangs à travers mille traits, Podalire se glisse derrière lui, et, le glaive en main, épie l’instant de le frapper. Tout à coup Alsus se retourne, et, de sa hache qui tombe à plomb, lui partage la tête en deux moitiés égales : la cervelle au loin jaillissante inonde les armes du vaincu. Un affreux repos, un sommeil de fer s’appesantissent sur ses yeux ; et ses paupières se couvrent d’une nuit éternelle.

Cependant le pieux fils d’Anchise tendait ses bras désarmés ; et, le front découvert, il rappelait à grands cris ses soldats : « Où courez-vous ? quel délire subit rallume ainsi la guerre ? Ah ! modérez ces transports ! Un saint traité nous lie, et ses lois sont irrévocables. Moi seul je dois combattre ; laissez-moi l’honneur de la lutte, et calmez vos alarmes : mon glaive ratifiera la paix. Turnus me doit sa tête ; ces autels en sont garans. » Il parlait encore ; soudain un dard ailé traverse les airs en sifflant, et vient frapper le héros. Quelle main le décocha ? quelle aveugle fureur en dirigea le vol ? est-ce un caprice du hasard, est-ce la faveur d’un dieu, qui procura ce triomphe insigne aux Rutules ? on l’ignore. La gloire d’un si haut fait resta cachée dans l’ombre, et nul ne se vanta de la blessure du grand Énée.

Dès que Turnus a vu son rival s’éloigner de ce champ funeste, et les chefs des Troyens pâlir déconcertés, l’espérance renaît dans son âme, il reprend sa bouillante audace : « Mes coursiers ! mes armes ! » s’écrie-t-il ; et superbe, il s’élance sur son char, lui-même il en saisit les rênes. Dans son rapide essor, il plonge aux Enfers nombre d’âmes généreuses, renverse sur les morts des milliers de mourans, écrase les bataillons sous ses roues enflammées ; et s’armant des dards mêmes qu’il arrache aux vaincus, il en accable ceux que la terreur fait fuir. Tel, aux bords de l’Hèbre glacé, l’impitoyable Mars, altéré de sang, agite avec fracas ses redoutables armes, et, déchaînant la guerre, abandonne les rênes à ses coursiers furieux : ils volent, franchissant les plaines, plus prompts que la foudre et les vents : la Thrace gémit au loin sous leur course bruyante : autour du dieu, l’Épouvante au front pâle, et l’ardente Colère, et l’insidieux Stratagème, hideux cortège, précipitent leurs pas. Ainsi l’impétueux Turnus pousse à travers la mêlée son char fumant de carnage ; ainsi le cruel insulte à ses victimes expirantes : sous les bonds de ses coursiers agiles, le sang jaillit en affreuse rosée ; et l’arène qu’ils foulent s’en abreuve à longs flots.

Déjà sont tombés sous ses coups et Sthénélus et Thamyris et Pholus : Pholus et Thamyris ont péri par son glaive, Sthénélus par ses traits. Ses traits atteignent encore et Glaucus et Ladès, tous deux fils d’Imbrasus, et qu’Imbrasus avait nourris lui-même dans les champs lyciens ; que lui-même il avait parés d’une armure semblable ; qu’il avait instruits lui-même, soit à combattre de pied ferme, soit à devancer les zéphyrs sur un coursier sans frein. Plus loin, courait de rangs en rangs Eumède, rejeton belliqueux de l’antique Dolon. Héritier du nom de son aïeul, Eumède a le cœur et le bras de son père. Jadis parti dans l’ombre pour observer le camp des Grecs, Dolon osa demander en récompense le char du fils de Pélée : mais Diomède paya tant d’audace d’un prix bien différent ; et Dolon ne prétend plus au char d’Achille. Tandis que l’imprudent Eumède s’abandonne dans la plaine, Turnus, qui l’aperçoit de loin, lui lance d’abord un javelot léger qui le frappe en fuyant ; il arrête ensuite ses coursiers, s’élance de son char, et fond sur le Troyen déjà couché par terre, déjà baigné dans son sang : puis le foulant d’un pied superbe, il lui arrache des mains l’épée qu’il tient encore, et lui plonge dans la gorge le fer étincelant. « Les voilà, s’écrie-t-il alors, les voilà, ces champs, cette Hespérie, dont la démence méditait la conquête ! va maintenant, misérable Phrygien ; que ton cadavre, gisant sur la poussière, les mesure à loisir. C’est le digne loyer qu’obtiennent les téméraires dont le glaive ose provoquer Turnus : ainsi leurs mains bâtissent des cités. »

Il dit ; et ses dards plus prompts que l’éclair joignent au fils de Dolon Asbutès et Chlorée, Sybaris et Darès, Thersiloque et Thymète ; Thymète, qu’entraîna dans sa chute son coursier trébuchant. Tel qu’échappé des antres édoniens, Borée déploie sur les mers de l’Attique ses bruyantes haleines ; au souffle des vents déchaînés, les flots tumultueux se précipitent vers le rivage, et les nuages amassés dans les creux s’enfuient et se dispersent : tel, aux approches de Turnus, au bruit de son char vagabond, tout plie, tout se renverse ; et les phalanges dispersées couvrent la plaine de leurs débris épars. Sa fougue emporte le héros ; et les vents, qu’il heurte en sa course, tourmentent sur sa tête son panache flottant.

Indigné de tant d’audace, outré de tant de fureurs, Phégée se jette au-devant des coursiers, saisit leur frein blanchi d’écume, et d’une main vigoureuse détourne leur essor. Tandis que le char l’entraîne, suspendu au timon, la lance au large fer l’atteint au défaut du pavois, perce le double airain de sa cuirasse, et l’effleure d’une blessure légère. Lui, non moins intrépide, il oppose son bouclier, se dresse fièrement contre son ennemi, et, s’avançant le glaive en main, appelle les siens à la vengeance. Mais le vol de la roue, mais le choc du rapide essieu, le précipitent à la renverse, et le font rouler sur l’arène. Alors Turnus accourt, et, saisissant l’intervalle entre les bords du casque et ceux de la cuirasse, lui fait tomber la tête d’un coup de cimeterre, et laisse le tronc sanglant étendu dans la poudre.

Ainsi Turnus triomphant sème en tous lieux les funérailles. Cependant soutenu par Mnesthée, par le fidèle Achate et le jeune Iule, le fils d’Anchise, tout couvert de son sang, regagnait lentement sa tente, aidant de sa longue javeline ses pas mal assurés. Il s’irrite, il s’efforce d’arracher lui-même le dard brisé dans la plaie : le secours le plus prompt est celui qu’il implore ; il veut qu’un large glaive fouille à l’instant sa blessure, qu’une main rigoureuse sonde les profondeurs où le fer s’est caché, qu’on se hâte enfin de le renvoyer aux combats.

Déjà s’était rendu près d’Énée le fils d’Iasus, Iapis, cher au dieu du jour. Autrefois Apollon, qui l’aimait tendrement, se plut à lui offrir ses dons et ses trésors, la science des augures, et sa lyre, et ses flèches rapides : mais Iapis, pour prolonger la vie d’un père incliné vers la tombe, aima mieux connaître la puissance des végétaux et l’art de guérir les mortels : à l’éclat de la gloire il préféra les utiles secrets d’Épidaure. Debout, frémissant de colère, le héros s’appuyait sur sa lance terrible ; et ni le concours immense de ses compagnons éplorés, ni les sanglots d’Iule en larmes, ne peuvent ébranler sa constance. Le docte vieillard, suivant l’usage antique des enfants de Péon, relève les plis mouvans de sa robe flottante, et déploie tout son art : mais c’est en vain qu’il multiplie ses épreuves savantes, et qu’il applique tour à tour les herbes salutaires dont Phébus lui montra le pouvoir ; c’est en vain qu’il secoue le dard d’une main habile, en vain qu’il en saisit la pointe avec un fer mordant : nul effort n’ouvre une route à la flèche rebelle, et les leçons du dieu servent mal son disciple. Cependant l’horreur du carnage s’accroît au loin dans la plaine : le péril devient plus pressant. Déjà de noirs tourbillons de poussière ont obscurci les cieux : » les coursiers des vainqueurs touchent aux portes des vaincus ; un orage de traits fond sur le camp des Troyens : de toutes parts s’élèvent dans les airs les cris funèbres des guerriers qui s’égorgent, des malheureux qui tombent victimes des fureurs de Mars.

Alors Vénus, profondément émue des longues souffrances de son fils, vole dans la Crète, et cueille, aux sommets de l’Ida, le dictame sacré ; le dictame, cette plante aux feuilles cotonneuses, aux bouquets de fleurs purpurines : le chevreuil blessé dans les bois connaît ces tiges bienfaisantes, lorsqu’il emporte dans ses flancs le dard ailé du chasseur. L’Immortelle, voilant ses traits divins sous un nuage obscur, apporte le baume précieux, l’infuse dans le vase brillant où tremble une eau limpide ; et, toujours invisible, elle y mêle avec art les sucs de la douce ambroisie, et l’odorante panacée. Le vieux fils d’Iasus distille sur la blessure l’onde enchantée dont il ignore la vertu : soudain a fui la douleur ; soudain, étanché dans la plaie, le sang a cessé d’en jaillir ; le trait suit doucement la main qui l’attire sans effort, il tombe ; et le fils de Vénus a senti tout à coup renaître sa première vigueur. « Des armes au héros ! des armes ! courez, volez, Troyens : qu’attendez-vous ? » Tel est le cri du docte vieillard ; et lui-même anime le courage d’Énée aux généreux exploits : « Non, ce n’est pas un pouvoir humain, ce n’est pas l’art d’un mortel qui vient d’opérer ce prodige ; ton salut, prince magnanime, part d’une autre main que la mienne : un dieu plus puissant a tout fait, et c’est lui qui t’appelle à de plus grands destins. »

Déjà, brûlant de vaincre, le héros a repris ses cuissards où l’or étincelle : il s’indigne d’un repos contraire à son courroux, et fait briller les éclairs de sa lance. Bientôt il a chargé son bras de son lourd bouclier ; bientôt l’airain de sa cuirasse a revêtu ses flancs. Ainsi fier et terrible, il presse tendrement Ascagne dans ses bras tout armés, lui donne au travers de son casque un baiser paternel ; puis, d’une voix noble et touchante : « Apprends de moi, mon fils, la science des vertus et la constance dans les revers : d’autres pourront t’offrir l’exemple du bonheur. Aujourd'hui ma valeur combat pour protéger tes jours : heureux de préparer l’empire à tes jeunes années ! toi, quand le temps bientôt aura mûri ton âge, souviens-toi des travaux d’un père : songe à la gloire ce de tes aïeux ; qu’elle enflamme ton ardeur ; et qu’on admire dans Iule le digne fils d’Énée, le digne neveu d’Hector. »

Il dit ; les portes s’ouvrent, et, pareil au dieu des batailles, il s avance, brandissant de fureur son énorme javeline. Avec lui s’élancent, à la tête de leurs nombreuses cohortes, et Mnesthée que rien n’arrête, et le fougueux Anthée : l’armée entière les suit, et, loin du camp désert, se précipite dans la plaine : un nuage de poudre s’élève des sillons, la terre tremble et gémit sous le poids mouvant des phalanges. Des hauteurs opposées, Turnus a vu la tempête qui s’approche en grondant, et son audace s’en étonne ; les Ausoniens l’ont vue, et leurs cœurs sont glacés d’effroi : Juturne la première, au bruit menaçant qui la frappe, reconnaît le héros, et fuit épouvantée.

Énée vole, entraînant ses noirs bataillons à travers les vastes, campagnes. Tel, roulant vers la terre, le sombre nuage qu’un ciel orageux enfanta franchit l’étendue des mers : le laboureur infortuné, présageant de loin sa ruine, frissonne et pâlit de terreur : l’ouragan va, dans sa course, arracher les troncs fructueux, écraser l’or des moissons, porter le ravage en tous lieux : les vents déchaînés le devancent, et leurs longs sifflements font retentir les rivages. Ainsi le chef des Troyens pousse contre l’ennemi ses formidables légions : leurs flancs serrés s’épaississent en colonne impénétrable. Sous le fer de Thymbrée tombe le puissant Osiris ; Mnesthée perce Archétius, Achate renverse Épulon, Gyas immole Ufens : frappé du coup mortel, Tolumnius expire ; Tolumnius, ce téméraire augure, qui lança le premier contre les Troyens une flèche insensée. Des cris confus s’élèvent jusqu’aux cieux ; et tournant le dos à leur tour, les Rutules fuient dans la plaine à travers des flots de poussière. Le héros ne daigne pas envoyer la mort à ce peuple éperdu que la frayeur emporte ; il épargne et ceux dont le glaive ose l’affronter de près, et ceux dont les traits plus timides le harcèlent de loin : au milieu de la nuit poudreuse qui couvre la mêlée, il ne cherche, il ne suit que Turnus, c’est Turnus seul qu’il appelle au combat. Réveillée par le péril même, la généreuse Juturne court au char de son frère, en précipite Métiscus, son fidèle écuyer, le fait rouler parmi les rênes, et le laisse étendu loin du timon abandonné : la Nymphe aussitôt le remplace, saisit entre ses mains les guides ondoyantes, et vole, cachée sous les traits de Métiscus : c’est sa voix, et son port, et ses armes ; c’est Métiscus lui-même. Comme on voit la noire hirondelle voltiger autour des vastes demeures qu’habite l’opulence, en raser d’une aile légère les immenses parvis, et, cherchant l’humble pâture qu’attend son nid babillard, frapper de son cri vagabond tantôt les portiques déserts, tantôt les humides étangs : telle Juturne, pressant au milieu des phalanges ses rapides coursiers, fait voler de rangs en rangs son char impétueux, tour à tour montre en mille endroits son frère triomphant, et, l’arrachant toujours au combat qu’elle redoute, le fait errer de détours en détours.

Non moins ardent à le poursuivre, Énée décrit tous les cercles qu’a décrits son rival ; il ne quitte point sa trace ; et sa voix, à travers les bataillons rompus, appelle Turnus à grands cris. Mais chaque fois qu’il rencontre sa vue, et qu’il est près d’atteindre en sa course rapide le vol des coursiers fugitifs, chaque fois le char tourne, et s’échappe aussi prompt que l’éclair. Que faire ? hélas ! et que tenter ? Le héros flotte en vain entre la honte et la colère ; en vain mille projets opposés roulent et se combattent dans son âme incertaine. Pendant qu’il délibère, Messape accourt, balançant deux javelots légers garnis d’un fer aigu. Un des deux est parti, lancé d’une main sûre : Énée s’arrête, se ramasse sous ses armes et fléchit le genou : le dard, trompé dans son essor, effleure pourtant les hauteurs du cimier, et jette au loin le panache qui les surmonte. L’indignation alors s’empare de son âme, et tant de perfidies allument sa vengeance. Las de poursuivre sans le joindre le char insidieux qu’emportent les coursiers, il prend mille fois à témoin et Jupiter et les autels garans du traité rompu ; enfin tombant comme la foudre sur les rangs ennemis, terrible, impitoyable, il enveloppe dans un vaste carnage tout ce qui s’offre à ses coups ; et ses justes fureurs n’ont plus de frein qui les arrête.

Quel dieu me dévoilera tant de scènes d’horreur ? qui retracera dans mes vers tant de sanglants exploits, tant d’illustres guerriers, aujourd’hui vaines ombres, moissonnés en ces champs funestes, ici par le fer de Turnus, là par le fer du fils d’Anchise ? Avez-vous pu, grands dieux, livrer à ces affreux conflits deux peuples que devait unir une paix éternelle !

Énée fond tout à coup sur le robuste Sucron : à ce prélude menaçant, les Troyens, qu’entraînait trop loin leur ardeur, s’arrêtent et reforment leurs files : l’épée rapide du héros atteint le Rutule dans les flancs ; et s’ouvrant un passage vers l’endroit où les côtes servent de rempart à la poitrine, la pointe meurtrière y porte un prompt trépas. Renversé de son coursier superbe, Amycus implorait le secours de son frère Diorès ; Turnus saute de son char, et les immole tous les deux : l’un, prévenu dans sa course, meurt percé d’une longue javeline ; l’autre expire sous le tranchant du glaive : le vainqueur suspend à son char leurs têtes séparées du tronc, et promène en triomphe ce sanglant trophée.

Le Troyen plonge aux enfers et Talon, et Tanaïs, et l’intrépide Céthégus, terrassés tous trois du même choc ; il y plonge après eux le malheureux Onytès, descendant d’Échion, et dont Péridie fut la mère. À son tour, l’Ardéen envoie chez les morts deux frères venus de la Lycie, de ces champs heureux que chérit Apollon ; il y précipite encore l’infortuné Ménète, jeune et timide Arcadien, qu’aurait dû sauver du trépas son horreur pour la guerre. Simple pêcheur des bords de Lerne aux ondes poissonneuses, Ménète y vécut long-temps du travail de ses mains : content de son humble cabane, il ignorait le faste des grandeurs ; et son vieux père cultivait pour autrui le champ qu’il habitait.

Pareils au double incendie qui, des bouts opposés d’une forêt épaisse, vole embrasant sur son passage et les chênes arides et les bruyans lauriers ; ou semblables à deux torrens écumeux, dont les flots rapides roulent avec fracas du sommet des montagnes, et courent s’abîmer dans le sein des mers, à travers les champs qu’ils ravagent : tels, et non moins impétueux, Énée, Turnus, se précipitent à travers la mêlée ; c’est maintenant qu’un noir courroux bouillonne dans leurs veines, que leur âme indomptable ne se possède plus, que tous leurs coups portent des blessures mortelles. Sous le fils d’Anchise succombe le fier Murranus ; Murranus, qu’enorgueillissaient ses aïeux, et la gloire de sa race antique, et cette longue suite de rois latins dont il était descendu : un bloc énorme, lancé d’une main puissante, le renverse de son char, et l’étend sur la poussière : la roue, en tournoyant, l’entraîne sous le timon sans guide ; et ses ingrats coursiers, méconnaissant leur maître, foulent indignement son cadavre. Sur le fils de Daunus s’élançait, frémissant de rage, l’audacieux Hyllus : le bouillant monarque fond lui-même sur le téméraire, et d’un lourd javelot atteint son casque d’or : le trait vainqueur perce la brillante armure, et demeure enfoncé dans le cerveau sanglant. Ton bras, généreux Crétée, ton bras, dont la Grèce exaltait la vaillance, ne te garantit point des fureurs de Turnus. Et toi, infortuné Cupence, tes dieux te laissent sans secours aux approches d’Énée : le fer de sa javeline te déchire le cœur, et l’airain de ton bouclier ne peut retarder ton trépas. Toi aussi, redoutable Éole, les campagnes du Latium virent ta chute déplorable, et ton corps gigantesque étendu dans la fange : tu tombes, toi que n’avaient pu terrasser ni les hordes des Grecs, ni la lance d’Achille, d’Achille qui renversa l’empire de Priam. Là t’attendait la mort. Tu possédais un palais superbe au pied du mont Ida, dans Lyrnesse un palais superbe : c’est aux champs de Laurente qu’est creusé ton cercueil.

À l’exemple des chefs, les deux armées s’ébranlent de toutes parts ; et Latins et Troyens, tout vole à de nouveaux périls. Mnesthée, l’ardent Séreste, le brave Asylas, et Messape le dompteur de coursiers, et les phalanges étrusques, et les escadrons d’Évandre, tous animés d’une ardeur martiale, rivalisent à l’envi de force et de courage : plus de trêve, plus de repos : les vastes plaines retentissent du choc affreux des bataillons.

Tout à coup la mère du héros troyen, l’immortelle Vénus, vient inspirer son fils : elle veut qu’Énée marche à l’instant aux remparts de Laurente, qu’il y marche suivi de ses bouillantes cohortes, et qu’un assaut inattendu fasse trembler les Latins pour leurs propres foyers. Tandis que le héros, cherchant Turnus à travers la mêlée, promène un œil impatient sur le théâtre des combats, il aperçoit la ville de Latinus, exempte des horreurs de la guerre, et seule impunément tranquille. Aussitôt l’image d’un plus noble triomphe enflamme son grand cœur. Il appelle Mnesthée, il appelle Sergeste et Séreste, vaillants chefs de ses soldats : en même temps il monte sur une éminence ; autour de lui se pressent ses nombreuses légions, hérissées dans leur repos même de lances et de boucliers : là, debout, et dominant, du tertre élevé qu’il occupe, les rangs serrés qui l’environnent. « Que mes ordres, dit-il, s’exécutent sans délai ; Jupiter est pour nous, et la hardiesse de l’entreprise doit plaire à votre audace. Vous voyez ces murs, la source de nos discordes, et cet empire, l’orgueil de Latinus : si le vaincu, rebelle au joug, ne subit la loi du vainqueur, je les renverse aujourd’hui même, et j’en égale au niveau du sol les débris embrasés. Quoi donc ! j’attendrai qu’il plaise à Turnus de s’offrir à mes coups, qu’il daigne, vaincu deux fois, avouer ma victoire ! c’est de là, compagnons, que part une guerre impie : c’est là qu’il faut l’éteindre dans le sang des parjures. Courez, armez-vous de torches ardentes ; et, la flamme à la main, vengeons la foi des traités violés.»

Il parle : à l’instant ses guerriers, brûlant de l’ardeur qui l’anime, se forment en colonnes, et fondent sur les remparts en épais bataillons. Déjà les échelles sont dressées, déjà brillent les feux destructeurs. Les uns volent aux portes, et massacrent les gardes avancés ; les autres lancent une grêle de dards, et noircissent les airs d’un nuage de traits. Lui-même aux premiers rangs, Énée foudroie les murailles : les mains levées au ciel, d’une voix tonnante, il accuse Latinus, et prend les dieux à témoin de sa propre innocence : « On le condamne, s’écrie-t-il, à reprendre les armes ; deux fois les Latins ont allumé la guerre, deux fois ils ont violé les pactes les plus saints. » La discorde éclate parmi les pâles habitans : ici la peur veut qu’on livre les portes, qu’on ouvre Laurente aux Troyens ; et la foule éperdue entraîne aux remparts le monarque lui-même : ailleurs, le désespoir court aux armes et dispute au vainqueur des ruines fumantes. Tel frémit, enfermé dans le creux d’une roche, l’essaim dont un pasteur a surpris la retraite, et rempli les demeures d’une fumée fétide : le peuple ailé, tremblant pour son salut, s’agite en ses remparts de cire, et par de longs bourdonnements s’excite à la vengeance : une vapeur infecte inonde leurs cellules ; la ruche ténébreuse retentit d’un bruit sourd ; et la fumée qui s’en exhale monte en tourbillons dans les airs.

Aux maux dont les Latins gémissent vient se joindre un nouveau désastre, qui plonge la ville entière dans le deuil et l’effroi. La reine, du haut de son palais, a vu l’ennemi s’avancer ; elle a vu Laurente investie, et les brandons volant sur 6es toits embrasés : mais, hélas ! ni les phalanges rutules, ni les bataillons de Turnus, ne paraissent pour la défendre. Infortunée ! elle croit que le héros a perdu la vie dans l’horreur du carnage ; et tout à coup, égarée par la douleur : « C’est moi, s’écrie t-elle, c’est moi qui suis la cause des calamités de l’empire ; le malheur public est mon crime ! » Dans la noire fureur qui trouble sa raison, elle maudit cent fois et le jour et les dieux, déchire d’une main forcenée ses vêtements de pourpre, et, nouant au plafond doré son écharpe en lambeaux, expire suspendue à ces liens honteux. Au bruit de sa fin tragique, les dames latines éclatent en longs sanglots : Lavinie la première, Lavinie, sa tendre fille, arrache ses beaux cheveux et meurtrit ses joues de roses ; autour d’elle, ses fidèles compagnes partagent ses douloureux transports : le palais retentit au loin de plaintes lamentables. Bientôt la Renommée publie dans l’immense cité cette accablante nouvelle. Tous les cœurs sont brisés : le vieux monarque déchire ses habits, et souille ses cheveux blancs d’une indigne poussière ; épouvanté du sort fatal de son épouse, il tremble encore pour ses murs chancelants. Combien il se reproche sa coupable faiblesse ! ah, que n’a-t-il accepté plus tôt l’alliance du magnanime Énée ! que ne l’a-t-il admis plus tôt à l’hymen de Lavinie !

Cependant Turnus, égarant son courage aux extrémités de la plaine, poursuivait les débris épars de quelques légions : mais son essor est moins rapide, et sa fougue ralentie presse plus mollement le vol de ses coursiers. Tout à coup les vents ont apporté jusqu’à lui les cris tumultueux d’une aveugle terreur : il écoute ; et son oreille attentive frémit au bruit confus, au lugubre murmure de la ville en alarmes. « Dieux ! qu’entends-je ? Pourquoi ce trouble affreux dans la triste Laurente ? Quelles horribles clameurs s’en élèvent de toutes parts ? » Il dit ; et pâle, ramenant à lui les guides, il suspend sa course lointaine.

Juturne, qui, toujours cachée sous les traits de Métiscus, dirigeait encore et le char, et les coursiers, et les rênes, Juturne a pressenti le dessein de son frère. « Par ici, Turnus ! s’écrie-t-elle : achevons de ce nettoyer ces plaines, et suivons la route que nous a tracée la victoire. Assez d’autres, le fer en main, sauront garantir nos remparts. Énée pousse ailleurs les Latins, et dévoue leurs rangs au carnage : nous, d’un bras impitoyable, portons ici la mort aux bataillons troyens. Ce combat n’offre à Turnus ni moins de victimes à moissonner, ni moins de lauriers à cueillir. » Le héros lui répond : « Ô ma sœur ! mes yeux t’ont reconnue dès l’instant que ton adresse rompit un funeste accord, et que tu vins te mêler toi-même à nos sanglants débats. Cesse ce de feindre ; ces traits mortels voilent en vain la déesse. Mais quel dieu t’a fait quitter l’Olympe ce pour ces champs de massacre et d’horreur ? Y viens-tu contempler le trépas funeste de ton malheureux frère ? Car enfin que puis-je encore ? et quel espoir de salut le sort cruel m’a-t-il laissé ? J’ai vu moi-même, j’ai vu le grand Murranus égorgé sous mes yeux, en demandant vengeance : cet ami cher à mon cœur, ce guerrier puissant, hélas ! un guerrier plus puissant encore l’a couché dans la poudre. Le déplorable Ufens a péri, pour n’être pas témoin de ma honte : son cadavre et ses armes sont restés la proie du vainqueur. Souffrirai-je, ô comble d’ignominie ! que le fer et la flamme détruisent à mes yeux nos murailles ? et mon glaive oisif justifiera-t-il les clameurs de Drancès ? Quoi ! je fuirais ! quoi ! ces plaines verraient Turnus reculer devant son rival ! Ah ! la mort est-elle donc un malheur si terrible ? Vous, ô dieux des enfers, soyez-moi propices, puisque les dieux du ciel me sont inexorables ? Mon âme descendra vers vous irréprochable et pure ; et, du moins exempt d’infamie, Turnus ne fera point rougir ses illustres aïeux. » Comme il parlait encore, tout à coup Sacès fend les rangs ennemis sur un coursier blanchi d’écume : blessé d’une flèche au visage, il accourt implorant Turnus d’une voix lamentable : « Turnus ; ton bras est notre dernier espoir ; prends pitié de tes concitoyens. Énée tonne contre nos remparts ; il menace de renverser les tours de la superbe Laurente, et de l’ensevelir elle-même sous ses débris fumans. Déjà les torches volent sur nos toits près de s’écrou1er. C’est toi seul désormais que les Latins appellent, toi seul que cherchent leurs regards inquiets : Latinus lui-même, Latinus, irrésolu, doute quel gendre il doit choisir, quelle alliance il doit embrasser. C’est peu : la reine, ton plus fidèle appui, a terminé de ses propres mains ses misérables jours : effrayée de nos désastres, elle a fui la lumière. Seuls fermes à nos portes, Messape et le brave Atinas y soutiennent encore un combat inégal : autour d’eux se pressent les deux armées rivales ; et les rangs, hérissés de dards étincelants, présentent au loin l’image d’une moisson de fer. Toi cependant, tu promènes inutilement ton char sur cette arène abandonnée ! »

Troublé par le récit lugubre de tant de malheurs divers, Turnus est frappé de stupeur : immobile et les yeux en terre, il garde un morne silence : au fond de son cœur agité, se soulèvent et grondent la colère impétueuse, le désespoir aveugle, l’amour furieux et l’honneur indigné. Sitôt que la nuit confuse répandue dans son âme commence à s’éclaircir, et qu’un rayon de lumière vient éclairer sa raison, il tourne, en frémissant, vers les murs de Laurente ses regards enflammés, et contemple du haut de son char la cité reine du Latium. À l’instant même, un tourbillon de flammes ondoyantes s’élevait jusqu’aux cieux, roulant d’étage en étage le long d’une tour embrasée ; d’une tour, mouvant édifice, dont il avait lui-même élevé l’immense assemblage, que lui-même avait assise sur des orbes roulants, dont il avait dressé lui-même les ponts suspendus dans les airs. « Ah ! c’en est fait, ma sœur ; les destins l’emportent : cesse de me retenir. Courons où les dieux m’appellent, où m’entraîne le sort impitoyable. Oui, je vole affronter Énée ; oui, tout ce que la mort a d’affreux, je suis prêt à le subir : Juturne ne verra point son frère souillé d’un plus long déshonneur. Laisse, ah ! laisse, avant qu’il périsse, Turnus s’abandonner à tous les transports de sa rage. » Il dit, et saute en même temps de son char dans la plaine, se précipite au milieu des ennemis, au milieu des traits et des feux, laisse Juturne désolée à la merci de ses douleurs, et dans sa course rapide frappe, enfonce et disperse les bataillons tremblants.

Comme on voit s’écrouler du sommet des montagnes un roc ébranlé par les vents, lorsque les pluies orageuses l’ont ruiné dans sa base, ou que le temps rongeur en a miné les racines profondes : la masse épouvantable, dont le poids augmente la vitesse, roule avec fracas de sa cime escarpée, bondit au loin dans les champs, et foudroie, sur son passage, forêts, troupeaux et pasteurs : tel, à travers les phalanges rompues, Turnus s’élance vers les forts assiégés, aux lieux où la terre fume inondée d’un sang plus épais, où l’air siffle assailli d’une grêle de dards plus affreuse. Là, d’un signe de sa main, il arrête ses guerriers ; et sa voix fière leur commande en ces mots : « Cessez, Rutules ; et vous, Latins, posez le fer. Quelque doive être le sort du combat, il ne pèsera que sur moi : seul, ainsi le veut la justice, seul je dois acquitter pour tous les engagements du traité ; c’est à mon glaive à vider ma querelle. » Aussitôt les rangs s’écartent ; un large espace sépare les deux armées.

Au seul nom de Turnus, le fils d’Anchise abandonne les murailles, abandonne les tours élevées : dans son impatience, il s’arrache à tous les obstacles, interrompt tous les travaux, et, tressaillant de joie, fait retentir son armure comme un affreux tonnerre. Moins superbe est l’Athos ; moins grand paraît l’Éryx ; moins majestueux se présente l’antique Apennin lui-même, lorsqu’il agite en frémissant ses bruyantes forêts, et s’applaudit de porter dans les nues son front couronné de frimas. Déjà Rutules, Troyens, et Latins, tous à l’envi ont tourné les yeux vers la lice : et ceux qui, la lance en arrêt, bordent le faîte des remparts, et ceux dont le bélier terrible sapait le pied des murailles, tous, attentifs au combat qui s’apprête, laissent reposer leurs armes inutiles. Latinus, étonné lui-même, admire par quel sort deux guerriers redoutables, nés aux deux bouts de l’univers, accourent se mesurer sous, les murs de Laurente, et disputer, le fer en main, le prix de la valeur. À peine ces fiers rivaux ont-ils vu le champ libre et la carrière ouverte ; ils partent, aussi prompts que l’éclair, et font voler de loin leur énorme javeline. Bientôt s’attaquant de plus près, ils se heurtent à grand bruit de leurs lourds boucliers : l’airain crie, froissé par l’airain ; et la terre tremble, ébranlée sous leur choc. Enfin croisant le glaive, ils se portent à la fois mille et mille coups terribles : le hasard se mêle à l’adresse, et les succès se confondent. Tels sur le vaste Sila, tels sur le haut Taburne, deux taureaux jaloux, baissant leur front sauvage, fondent soudain l’un sur l’autre, et se livrent un combat à mort : les pâtres ont fui consternés ; le troupeau, muet d’épouvante, reste au loin immobile ; et les génisses inquiètes attendent, en frémissant, qui des deux aura l’empire des pâturages, qui des deux marchera le roi du troupeau : cependant le couple irrité s’entre-déchire avec fureur ; acharnés l’un sur l’autre, ils se percent tour à tour de leurs cornes meurtrières ; le sang ruisselle à grands flots de leur cou nerveux, de leurs larges épaules ; et la forêt profonde répond en mugissant à leur affreux murmure. Ainsi le héros Troyen, ainsi le héros Rutule, font retentir, en se chargeant, leurs boucliers : un long fracas remplit au loin les airs.

Jupiter suspend alors lui-même ses balances immortelles, dont la justice a fixé l’équilibre : il pèse dans l’or des bassins le sort divers des deux puissances, et considère qui les Destins condamnent, de quel côté penche la mort. Tout à coup Turnus s’élance, croyant saisir le moment favorable : et le corps dressé, l’épée haute, il assène un coup terrible à son rival. Les Troyens poussent un cri d’effroi, les Latins un cri d’espérance ; et les deux armées dans l’attente osent à peine respirer. Mais le perfide acier se brise, et trahit la fureur qui comptait sur ses coups. Le héros trompé n’a que la fuite pour ressource : il fuit, hélas ! plus léger que les vents ; et dans son désespoir, il maudit l’indigne tronçon qui lui reste, il maudit sa main désarmée. On dit qu’en ses transports aveugles, quand il se précipita sur son char pour courir au combat, l’impétueux guerrier saisit imprudemment, au lieu du glaive de son père, l’épée du vieux Métiscus. Tant qu’elle n’eut à frapper que des hordes fugitives, cette épée suffit au héros : mais lorsqu’il fallut s’essayer contre l’armure divine forgée par Vulcain même, le fer mortel se rompit aussitôt comme un cristal fragile : ses vains éclats brillent épars sur l’homicide arène.

Turnus fuit donc éperdu : égaré dans la plaine, il va, revient encore sur ses pas ; et dans sa course vagabonde, il décrit au hasard mille détours incertains. D’un côté, ses Troyens formés en cercle épais lui ferment le passage ; de l’autre, un vaste marais l’arrête ; plus loin, s’étendent devant lui les barrières de Laurente. Énée vole sur ses traces : faibles encore de sa blessure récente, parfois ses genoux fléchissent et servent mal son ardeur ; mais son courage le ranime ; et, dans leur bouillant essor, ses pieds touchent les pieds du Rutule aux abois. Tel le chien du chasseur, s’il a surpris un cerf, arrêté par un fleuve sinueux, ou saisi de frayeur à l’aspect d’un filet garni de plumes pourprées, il le poursuit sans relâche, il le presse de ses longs aboiements : l’animal timide, qu’épouvantent tour à tour la toile captieuse et la rive escarpée, s’échappe en détours tortueux, et refait mille fois le chemin qu’il a fait : cependant, acharné sur sa proie, l’ardent limier la suit gueule béante ; il la touche, il semble la saisir, et l’on entend crier ses mâchoires grondantes : mais il n’a mordu que le vent. Alors partent du sein des deux armées des clameurs tumultueuses ; les échos du rivage, les lacs d’alentour en retentissent de toutes parts ; et le ciel tonne, ébranlé de leurs bruyans éclats. Turnus, dans sa fuite, gourmande ses bataillons oisifs ; il appelle tour à tour par son nom chacun de ses soldats, et demande à grands cris son glaive accoutumé. Le fils d’Anchise, au contraire, jure de punir, de percer à l’instant quiconque oserait approcher : il jette la terreur dans les rangs éperdus, en menaçant d’exterminer Laurente ; et, malgré sa blessure, il poursuit toujours son rival. Cinq fois ils décrivent, en courant, le tour de la fatale enceinte ; cinq fois, revenant sur leurs pas, ils en mesurent encore les détours circulaires. Ce n’est point un laurier frivole, un prix imaginaire, que cette lutte promet au vainqueur : c’est le sang de Turnus, c’est la mort d’un héros, qui doivent sceller la victoire.

Là s’élevait naguère en l’honneur de Faune un olivier sauvage, arbre antique au feuillage amer, et révéré long-temps des nautonniers : sauvés des fureurs de l’onde, ils venaient en ces lieux consacrer au dieu des Laurentins leurs pieuses offrandes, et suspendre aux rameaux sacrés leurs humides vêtements. Mais sans respect pour ce tronc religieux, les Troyens l’avaient abattu, afin qu’aucun obstacle n’embarrassât la lice. C’est là qu’avait porté la lance du fils d’Anchise, là que, poussée d’un bras puissant, elle s’était enfoncée dans la souche noueuse ; et le fer, attaché aux racines, y tenait immobile. Énée se courbe ; sa main saisit l’arme captive, et s’efforce de l’arracher : le trait rapide atteindra mieux celui que le héros ne peut atteindre. A cet aspect, Turnus glacé d’effroi s’écrie hors de lui-même : « Faune, dieu protecteur, ah ! prends pitié de Turnus ! et toi, Terre bienfaisante, retiens ce dard homicide ! Je vous implore,divinités tutélaires, vous qu’ont toujours honorées mes pieux hommages, vous dont les Troyens ont profané le culte par une guerre sacrilège. » Il dit ; et ses vœux supplians n’invoquèrent pas sans fruit l’assistance du dieu. En vain le fils de Vénus s’épuise en longs efforts ; en vain il lutte contre la racine obstinée : rebelle à toutes les secousses, le tronc n’abandonne point le fer qu’il a mordu. Tandis. qu’Énée, bouillant d’impatience, tourmente inutilement le javelot inébranlable, Juturne, empruntant de nouveau la figure de Métiscus, se précipite dans l’arène, et remet à son frère le glaive de Daunus. Alors Vénus, indignée de voir la Nymphe téméraire porter jusque-là son audace, Vénus approche elle-même, et, sous sa main divine, le trait tombe, arraché de la profonde racine. Ainsi, fiers de leurs armes, et brûlant d’une nouvelle ardeur, l’un comptant sur sa fidèle épée, l’autre agitant d’un air superbe sa lance redoutable, les deux rivaux se heurtent plus terribles, et la violence du choc fait palpiter leurs flancs.

Cependant la reine des dieux, du haut d’un sombre nuage, contemplait ces luttes funestes : le souverain du radieux Olympe aborde en ces mots la Déesse : « Quel terme, chère épouse, verrons-nous donc à ces affreux combats ? que manque-t-il enfin à vos vengeances ? Le ciel, vous le savez vous-même, le ciel attend le fils d’Anchise ; et les Destins doivent l’élever un jour au rang des Immortels. Que médite encore votre éternel courroux ? et quel charme si puissant vous enchaîne au séjour glacé des orages ? Espériez-vous qu’un mortel triompherait d’un dieu ? Junon devait-elle, par la main de Juturne, rendre à Turnus le glaive soustrait à ses fureurs ? devait-elle ranimer l’audace éteinte des vaincus ? Calmez enfin ce long ressentiment, et que mes prières fléchissent une fois votre rigueur. Nourrirez-vous toujours le noir chagrin qui vous ronge ? et cette bouche gracieuse ne saura -t-elle que m’affliger sans cesse de ses plaintes amères ? L’instant fatal est arrivé. Vous avez pu jusqu’à ce jour soulever contre les Troyens et la terre et les mers, embraser l’Italie des feux de la discorde, plonger dans le deuil une auguste famille, et tremper de larmes les myrtes de l’hyménée : là doit s’arrêter votre haine : je le veux. »

Ainsi parla Jupiter. Ainsi la fille de Saturne répond d’un air soumis : « Maître du monde, dès que j’ai connu vos arrêts immuables, je me suis vaincue moi-même, j’ai quitté sur-le-champ et Turnus et la terre. Épouse moins docile, vous ne me verriez pas à cette heure, triste et seule dans la région des airs, endurer tant d’outrages et dévorer tant d’affronts : environnée de feux vengeurs, je tonnerais au milieu des batailles, j’y dévouerais au carnage les débris de Pergame. J’ai pressé Juturne, il est vrai, de voler au secours de son malheureux frère, et j’ai permis qu’elle fît tout pour lui sauver la vie. Mais je n’ai point armé la Nymphe de traits homicides, je n’ai pas mis dans ses mains l’arc messager de la mort : j’en jure par les eaux du Styx, par ce fleuve inexorable, seule puissance infernale que redoutent les puissances célestes. Oui, c’en est fait, je cède ; et Junon, lasse de discordes, abjure aujourd’hui les combats. Je n’implore de vous qu’une grâce, une grâce indépendante des arrêts du destin ; je l’implore et pour la gloire du Latium, et pour la majesté des rois issus de votre sang. Qu’un heureux hyménée cimente bientôt la paix, j’y consens ; que des lois communes, un traité fraternel, unissent les deux nations, j’y souscris : mais ne condamnez pas les Latins à perdre leur ancien nom ; le peuple que ces contrées virent naître, ne le contraignez pas à devenir Troyen, à changer de langage, à prendre un habit étranger. Que l’antique Latium subsiste à jamais ; qu’Albe et ses rois triomphent d’âge en âge ; que Rome doive un jour sa puissance à la valeur italienne : Troie a péri ; souffrez que périsse avec elle jusqu’au souvenir de son nom. »

À ces mots, un doux sourire brille sur le visage du père de la nature : « Eh quoi ! vous, sœur de Jupiter, vous, fille de Saturne, votre âme s’abandonne ainsi aux tempêtes de la colère ! Mais apaisez de vains transports, et modérez ces fureurs inutiles : je me rends à vos vœux, et ma complaisance vous accorde sans peine un triomphe qui vous flatte. Les enfants de l’Ausonie conserveront leur langue maternelle et leurs mœurs accoutumées : le nom qu’ils portent, ils le porteront toujours : mêlés à ce grand corps, les Troyens n’y domineront pas : j’établirai pour tous un même culte, un même ordre de cérémonies religieuses ; et, réunis sous mes auspices, les deux peuples confondus formeront le peuple latin. De ce mélange fortuné du sang d’Assaracus et du sang Ausonien doit sortir une race illustre que vous verrez s’élever, à force de vertus, au-dessus des hommes, au-dessus des dieux mêmes ; et jamais aucun peuple n’ira porter à vos autels de plus pompeux hommages. » Ces promesses ont désarmé Junon, et son âme satisfaite sent expirer son courroux. La déesse quitte aussitôt les airs, et de la nue remonte dans l’Olympe.

À peine elle a disparu, le dieu suprême roule dans sa pensée un autre projet : sa sagesse veut écarter Juturne de la lice où combat son frère. Il est, dit-on, deux noires Furies : on les appelle Dires dans le ciel. La sombre Nuit les enfanta au même instant que l’infernale Mégère, les hérissa comme elle de serpens tortueux, et leur donna des ailes aussi promptes que les vents : près du trône de Jupiter, aux pieds de ce maître redoutable, elles veillent attentives à ses ordres ; et c’est de là qu’elles vont semer l’effroi chez les infortunés humains, quand le roi des Immortels déchaîne sur la terre la mort hideuse et les pâles maladies, ou qu’il souffle aux cités coupables les horreurs de la guerre. Jupiter fait descendre la plus agile des hauteurs de l’Olympe, et lui commande de porter à Juturne un présage funeste. Elle vole, et franchit l’espace éthéré dans un tourbillon. Ainsi, quand la flèche du Parthe ou du Crétois fuit, chassée de l’arc homicide, dans les airs nébuleux, et court, trempée de sucs mortels, ouvrir une blessure incurable, le trait siffle, et passe invisible à travers les ombres légères. Telle s’élance la fille de la Nuit, tel son essor impétueux la précipite vers là terre. Sitôt qu’elle aperçoit les phalanges troyennes et les bataillons de Turnus, elle ramasse tout à coup son corps gigantesque sous la forme amincie de cet oiseau funèbre, qui, perché durant la nuit sur les tombeaux ou sur les toits déserts, prolonge dans les ténèbres ses lugubres accens ; déguisée sous ces traits, la cruelle messagère passe et repasse avec un bruit sinistre alentour de Turnus, et bat d’une aile importune le bouclier du héros. Il frissonne : une torpeur inconnue s’empare de ses membres ; ses cheveux se dressent d’horreur ; sa voix expire sur ses lèvres.

Aux sifflements lointains, au vol affreux du monstre, l’infortunée Juturne a reconnu la Furie. Dans son désespoir, la Nymphe arrache ses beaux cheveux épars, déchire d’un ongle barbare son visage baigné de larmes, et meurtrit son sein virginal : « Que peut maintenant pour toi, Turnus, ta malheureuse sœur ? et quelle espérance, hélas ! me reste-t-il encore ? Par quel heureux artifice prolonger désormais tes jours ? Est-il en ma puissance de résister au spectre fatal qui t’assiège ? C’en est fait, c’en est fait, j’abandonne le champ du combat. Cessez d’accroître mes terreurs, oiseaux funestes : je connais le bruit de vos ailes, je connais vos cris de mort :ils ne m’apprennent que trop les superbes arrêts du maître de l’univers. Voilà donc la récompense de ma pudeur ravie ! Pourquoi m’a-t-il fait part de l’immortalité ? Devait-il fermer à Juturne les chemins du trépas ? Mortelle, je pourrais du moins finir aujourd’hui mes cruelles douleurs ; je pourrais accompagner mon déplorable frère chez les ombres. Ta sœur est immortelle ! Ah ! ta sœur peut-elle, ô Turnus, goûter sans toi quelques douceurs ? Ciel ! que la terre n’ouvre-t-elle sous mes pas ses plus profonds abîmes ! que ne plonge-t-elle une déesse misérable dans le fond des enfers ! » En achevant ces mots, la Nymphe éplorée couvre sa tête de son voile verdâtre, et se précipite en gémissant au sein de ses flots azurés.

Cependant Énée presse vivement son adversaire, brandit avec fureur sa lance énorme, épouvantable, et s’écrie d’une voix tonnante : « Qu’attends-tu donc, Turnus ? éluderas-tu sans cesse l’épreuve de la vaillance ? Ce n’est point à la course, c’est corps à corps, c’est armés du glaive homicide, qu’il s’agit de combattre. Prends à ton gré toutes les formes ; appelle à ton secours tout ce que le courage a de force, tout ce ce que la ruse a d’adresse ; emprunte, si tu peux, des ailes pour t’échapper dans les nues ; ensevelis-toi, si tu peux, dans les entrailles de la terre. » Turnus, secouant la tête : « Ce ne sont point tes insolentes bravades qui m’effraient, barbare ! ce sont les dieux, c’est Jupiter irrité, dont je redoute le courroux. » Il dit ; et jetant autour de lui les yeux, il aperçoit un bloc immense, un bloc antique et monstrueux, dont la masse, partageant la terre, servait de voisins, et séparait leurs bords litigieux. À peine douze mortels des plus robustes, douze mortels pareils à ceux que notre siècle enfante, pourraient en soutenir la charge sur leurs fortes épaules. Le héros le soulève d’une main frémissante, se dresse de toute sa hauteur, et, fondant sur son ennemi, s’apprête à l’écraser. Mais ce n’est plus cette agilité qui naguères lui prêtait des ailes, ce n’est plus cette vigueur que n’eût point étonnée le poids d’un roc énorme : Turnus ne se reconnaît plus : ses genoux fléchissent, un froid subit a glacé tout son sang ; et le bloc, lancé d’un bras trop faible, roule en vain dans le vide, sans pouvoir fournir sa carrière, ni porter le coup fatal.

Tel parfois dans l’ombre des nuits, lorsqu’un profond sommeil appesantit ses paupières, l’homme essaie en songe une course impuissante, et, trompé dans ses vains efforts, succombe aux langueurs qui l’accablent : il veut parler, sa voix expire sur ses lèvres ; ses membres sans ressorts cherchent inutilement leur force évanouie, et sa langue muette n’obéit plus à sa pensée. Ainsi Turnus rappelle eu vain sa valeur indignée : l’impitoyable Furie en arrête les élans. Il se trouble ; mille sentiments contraires agitent son âme incertaine : ses regards implorent tour à tour et Laurente et l’armée ; la crainte enchaîne ses pas ; il frissonne à l’aspect du fer qui le menace ; il ne sait comment assaillir son rival ; son char, sa sœur, et son guide avec elle, tout a disparu comme un songe.

Pendant qu’il flotte irrésolu, Énée lève tout à coup le fatal javelot, et, choisissant de l’œil où frapper sa victime, le fait voler d’un bras terrible. Avec moins de fracas tonnent contre les remparts les rocs lancés par la baliste ; avec un bruit moins affreux retentissent dans la nue les éclats de la foudre. Pareil au noir tourbillon, le dard fend les airs, portant avec lui la douleur et la mort : il traverse les bords du bouclier aux sept lames d’airain, perce du même essor l’extrémité de la cuirasse, et s’enfonce en sifflant dans la cuisse du Rutule. À ce coup foudroyant, le fier Turnus ploie les genoux, et son vaste corps va mesurer la terre. Un cri lamentable s’élève parmi les Rutules : les montagnes d’alentour y répondent en mugissant, et les forêts profondes retentissent au loin de ce lugubre murmure. Alors humble et soumis, Turnus lève un œil languissant et des mains suppliantes : « J’ai mérité mon sort, dit-il ; et je ne demande point la vie. use de ton bonheur. Mais si l’affliction d’un père infortuné peut attendrir ton âme, aie pitié, je t’en conjure au nom d’Anchise… hélas ! ton père aussi fut courbé sous le poids des ans… aie pitié de la vieillesse du malheureux Daunus : rends un fils, ou du moins les restes d’un fils, aux douleurs paternelles. Tu m’as vaincu, et l’Ausonie a vu Turnus tendre vers son vainqueur une main désarmée : Lavinie est ton épouse : n’étends point ta haine au-delà du tombeau. »

À cette voix plaintive, Énée, malgré son courroux, a retenu son bras : il roule un œil incertain sur son rival, et le glaive prêt à frapper s’arrête suspendu. Déjà sa grande âme fléchie s’ouvrait à la pitié, quand tout à coup il voit briller sur les flancs du Rutule ce fatal baudrier, cette écharpe enrichie d’ornements trop connus, naguère éclatante armure du jeune et malheureux Pallas ; de Pallas, que Turnus massacra dans les champs du carnage, et dont il porte encore en triomphe la superbe parure, À peine s’est offert aux regards du héros ce funeste trophée, monument d’une horrible victoire ; sa fureur se rallume, et frémissant de rage : « Quoi ! couvert des dépouilles de mes plus chers amis, tu m’échapperais, barbare ! Tiens, tiens, voilà le coup que te porte Pallas ; c’est Pallas qui t’immole, Pallas qui venge son trépas dans ton sang criminel. » Il dit, et, bouillant de colère, il lui plonge le fer dans la gorge. Soudain le froid de la mort a glacé les membres de Turnus, et son âme indignée fuit, en gémissant, chez les Ombres.

 


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