François Coppée (1842-1908)
Recueil : Les Humbles (1872)

En Province - II


 

II

Au retour des Bourbons; un vieux noble émigré
Vint, ainsi que le fait un homme qui s'installe,
Louer cette maison dans sa ville natale.
Railleur et n'ayant plus les antiques respects,
Il ne s'était enfui que lorsque les suspects
Furent enfin inscrits sur la fameuse liste.
Car il était resté très ardent royaliste
Et partisan fougueux des orgueils du vieux temps.
Quand il revint avec une enfant de huit ans,
La fille de son fils, hélas ! une orpheline,
Ce fut triste. - Il était sans laquais ni berline,
Seul, à pied et portant ce fardeau sur les bras.
Mais, sceptique, il avait prévu les rois ingrats,
Et, décemment râpé, sans misère apparente,
Il vécut, dans un coin, d'une petite rente,
Écrivant, par loisir, un traité de blason.
Il 'avait justement choisi cette maison,
Parce que, d'un côté, triste, inhospitalière,
Avec ses murs verdis et son toit noir de lierre,
Elle convenait fort à son âpre dédain,
Et qu'elle avait, derrière, un carré de jardin
Où, sous un frêle arceau de jaunes capucines,
Dérobée aux regards des fenêtres voisines,
L'enfant pouvait jouer au soleil, dans les fleurs.
Comme il n'espérait pas revoir des jours meilleurs,
Que son nom, nom fameux, vieux comme la bannière
De saint Denis, c'était cette enfant, la dernière,
Qui devait, fille pauvre et sans dot, le porter,
Qu'une mésalliance était à redouter,
Pour elle cet athée avait rêvé le cloître.
Aussi souriait-il, plus calme, en sentant croître
Dans ce coeur virginal le lys pur de la foi.
D'autre part, il aimait son fauteuil, son chez soi,
Trouvait l'office long et l'église glacée;
Et l'unique servante était bien trop pressée
Pour conduire l'enfant pieuse qui voulut
Bientôt entendre messe, et vêpres, et salut.
- A cette époque-là, venait chez ce vieux noble
Qui possédait encor quelques champs, un vignoble
Près d'une métairie, à l'ombre des pommiers,
Un garçon de seize ans, le fils de ses fermiers,
Qui, jugé trop chétif pour la vie ordinaire
De la campagne, était élève au séminaire.
Un beau jour, ce petit paysan fut chargé
Par l'aïeul, le dimanche étant jour de congé,
De se rendre à l'église avec la demoiselle
Et de la ramener après cela chez elle.
On l'en récompensait par sa place aux repas
Et par l'accueil. C'était tout simple, n'est-ce pas ?
Cet humble protégé, collégien rustique,
Pouvait, à la rigueur, servir de domestique,
Bien que, pour être prêtre, il apprît le latin.
- Depuis lors, les enfants, le dimanche matin,
Côte à côte, et prenant toujours la même place
Sous le vitrail en feu de la grande rosace,
S'asseyaient dans la nef profonde et priaient Dieu.
La petite fillette était vouée au bleu,
Toilette qui sied bien aux couleurs enfantines,
Et tous ses vêtements, chapeau, robe et bottines,
Comme son âme, étaient de la couleur du ciel.
Quant au pauvre garçon, le noir officiel
Et les habits de drap, à coupe droite et triste,
Pouvaient lui donner l'air un peu séminariste;
Mais, chez les bonnes gens qui prenaient le chemin
De l'église et voyaient, se tenant par la main,
Passer les deux enfants avec leurs eucologes,
C'étaient des hochements de tête et des éloges
De leurs regards brillants de douce piété.
Seulement ils étaient d'une timidité
Extrême et rougissaient beaucoup quand, sur leur route,
Un passant, étranger à la ville sans doute,
Parlait d'eux, les prenant pour le frère et la soeur.
L'un et l'autre, ils goûtaient vaguement la douceur
Pénétrante que donne à l'habitude prise
La province, où la vie est monotone et grise.
Pour la triste orpheline et l'écolier captif,
Chaque dimanche était un moment fugitif
Fait de calme harmonie et de parfums de fête,
Où, vibrantes de foi candide et satisfaite,
Leurs deux voix se mêlaient dans tout ce qu'il y a
D'allégresse à chanter les blancs Alleluia.
Ils se sentaient égaux devant Dieu. La prière
Entre eux avait détruit à jamais la barrière
Qui, pour la loi du monde, encor les séparait;
Et leurs deux coeurs s'étaient réunis en secret
Par un de ces liens qui toujours se resserrent.

 

 


François Coppée

 

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