François Coppée (1842-1908)
Recueil : Les Humbles (1872)

En Province


 

I

La petite maison à mine sépulcrale,
Noire et basse, en plein nord, près de la cathédrale,
Quand j'avais visité la ville, m'avait plu
Par son air clérical, discret et vermoulu.
L'espalier de la porte avec ses quelques roses
Qui, pâles, se mouraient le long des murs moroses,
Le pignon au vieux toit de tuile surplombant
Les trois degrés du seuil, le trottoir et le banc
Placé là tout exprès pour que le pauvre y dorme,
L'ombre que sur le tout jetait l'église énorme,
La rue où le gazon verdissait les pavés,
Ces détails, plus complets qu'on ne les eût rêvés,
Me prouvaient qu'il fallait en effet que je vinsse
Pour voir cette maison dans ce coin de province.

Causant de ce logis à des voisins, j'appris
Qu'il était habité, moyennant un bas prix
Et depuis fort longtemps, par une vieille fille
Extrêmement dévote et d'ancienne famille.
Or, étant un flâneur, et passant très souvent
Devant cette maison au parfum de couvent,
- N'allez pas croire au moins qu'à dessein je le fisse,-
Vers midi, c'est-à-dire fine heure après l'office,
Tous les jours, excepté les dimanches, je vis,
A cet angle que fait la place du parvis
Avec la vieille rue en question, paraître
Et venir lentement un grand et maigre prêtre,
En tricorne, portant son gros livre à fermoir,
Proprement recouvert d'un morceau de drap noir.
II s'approchait, pensif, de la vieille masure,
Mais avec l'air tranquille et la démarche sûre
Qu'on a lorsqu'on se livre à des soins réguliers.
Il s'arrêtait au seuil, grattait ses lourds souliers,
Frappait un petit coup qu'on entendait à peine,
Et, vif, dès que la gâche avait jailli du pêne,
Entrait et refermait doucement après lui.
J'étais seul en province et m'ennuyais. L'ennui
Rend maussade et vous fait céder aux injustices;
Et voici que déjà, sur ces faibles indices,
J'avais un roman noir et bête tout trouvé :
Une dévote avare, un testament couvé,
Des parents sur la paille, enfin toutes les suites
D'une menée affreuse et sourde de jésuites.
On devient quelquefois un voltairien fieffé
Pour un rien, pour avoir lu le Siècle au café;
Et, comme il est toujours pénible de se taire
Quand on pense tenir la moitié d'un mystère,
Je m'informai. - Ce fut bien fait pour moi, vraiment,
Qui rêvais d'appeler un juste châtiment
Sur quelque tortueuse et sombre stratégie;
Car on ne me conta qu'une simple élégie
Dont il me fallut être ému, bon gré mal gré.

 

 


François Coppée

 

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