Charles Coypeau d'Assoucy (1605-1677)
Recueil: Le Jugement De Pâris En Vers Burlesques (1648)

Second Chant


 

A Peine la Mere aux Estoilles
La nuict avoit plié ses voilles,
Quand Junon, Pallas, et Cipris,
Toutes trois Dames de haut pris,
Qui pour la belle et riche pomme
N'avoient dormi que d'un court somme,
Vestirent leurs riches habits,
Requamés d'Or et de Rubis,
de Topases et d'Escarboucles,
Avec des coquilles de Moucles.
Pensez vous que Dame Junon,
Et Pallas, fille de renom,
A l'heure fussent assés sottes
Pour oublier leurs belles cottes,
Leurs atours et leurs affiquets,
Non plus que Venus ses bouquets?
Non certe elles furent soigneuses,
Les divinités glorieuses,
De vestir habits precieux.
Junon qui taille et rogne aux Cieux,
Voulut quitter cette journée
Sa belle robe d'Hymenée
Pour en prendre une d'Or massif,
Où l'art d'un trait superlatif
Estalloit en belle ordonnance
Mainte roüe et mainte potence,
Des prisons, des feux, et des fers,
Des Ixions, et des Enfers,
Et des Peres courans les ruës
Pour leurs Enfans devenus gruës:
Ce qui donnoit en verité
Un bel esclat à sa beauté.

De plus, un riche Diademe
Ornoit son front blanc comme cresme;
Sur lequel front estoit bandeau,
Sur ce bandeau petit marteau,
Qui servoit à la fiere beste
A luy donner martel en teste:
Drus soucis elle avoit en sein,
Es pieds des souliers de chagrin:
Pour plume elle en avoit dans l'aisle,
Pour pendant la puce à l'oreille,
Pour collier un Diable à son col,
Et pour bracelet un licol.

A travers cette braverie
Mainte esclattante pierrerie
Rehaussoit son habillement:
Maint gros et riche Diamant,
Accouplé d'union Persique,
En faisoit trois à la barrique.
En deux mains elle avoit dix doigts,
Tous remplis de bagues de chois;
Et le bleu Saphir et l'Opale,
Avec la perle à trogne pâle
Honnoroit son gent corcelet
Jusque à la charge d'un mulet.
Pour Pallas, Dame qui tapisse,
Sa robe estoit de haute-lisse,
Qui faisoit honte en bonne foy
A tous les Tapissiers du Roy:
Car en noble et riche tenture
De trois pieds plus grands que nature,
On y voyoit d'Or et de fil
Cent personnages en Pourfil.
La sur la crouppe de Parnasse.
Estoit Phoebus avec le Tasse,
Le celebre chantre Romain.
Les neuf Muses et Neugermain,
Poëte barbu de haute estime,
Lequel apprenoit tout en rime
L'art de conserver les souliers
Aux plus fameux Mache-lauriers.

Sur sa teste elle avoit un casque,
Sur ce casque elle avoit un masque,
Deux courts bastons dedans son sein,
Et sur son dos un tabourin.
Dedans une main Tite-Live
Et dans l'autre un panier d'Olive:
D'olivier que pris elle avet
Au joli Jardin d'Olivet.
Pour la Deesse à tresse blonde,
Fille de Juppin et de l'Onde,
Femme à Vulcan, mere d'Amour,
Venus plus belle que le jour;
Un habit fleurant comme Baume,
Couleur de Monsieur de Vandosme,
Faisoit voir sous un crespe fin
Son cul plus doux que du Satin:
Aymant mieux en cette rencontre
De son susdit cul faire montre,
Que d'estaller Or et Rubis
Moins precieux que culs susdits.

Seulement en l'Or de ses tresses
Cent petits fils de quatre fesses
Gentils, jolis, petits amours
Faisoient mille folastres tours.
L'un joüoit à l'Asne qui trotte,
Un autre luy levoit la cotte,
L'un contrefaisoit le Coucou,
L'un le sage, l'autre le fou;
L'un se joüoit d'une lunette,
Et l'autre montroit sa pinette:
Aucuns le nés s'entrecassoient,
Tandis que d'autres s'embrassoient;
Et s'entrebaisoient à la bouche.
Quand la Dame qui n'est pas louche,
Venus, en menaçante voix,
Leur dit, belistres de Narquois,
Petite graine de Laittuë
Est-ce ainsi que l'on s'esvertuë
Pour me secourir au besoin?
Est-ce là l'amour et le soin
Que vous devez à vostre mere?
Petits gredins, Enfans sans Pere,
Fils de Putains, Enfans trouvés,
Est-ce ainsi que vous me servés?

Ce reproche à ces petits Vierges,
Plus sensible que coups de verges,
Plustost qu'on ne peut concevoir
Les fit voler à leur devoir;
Qui d'un bel art en petite onde
Courboit l'Or de sa tresse blonde,
Qui luy portoit fines odeurs,
Grains parfumés, pots de senteurs,
La Gomme, le Fard et la Mouche,
Qui de l'eau pour laver la bouche,
Qui des bouquets, et des galans,
Des patins, des noeuds, et des gans:
Aucuns luy portoient pieces d'Ambre,
L'un du Musc, l'autre un pot de chambre,
L'un luy presentoit un miroir,
L'autre repassoit un rasoir;
Lequel rasoir, par Saincte Barbe,
Il affilloit pour faire barbe:
Je ne sçay ce qu'il pretendoit,
Ny quelle barbe il entendoit.
L'un la couvroit de fleurs d'Orange,
Aucuns luy pissoient de l'eau d'Ange:
D'autres ornoient d'un colet neuf
Ses tetons ronds comme un esteuf.

Cependant le gentil Mercure,
Qui de les conduire avoit cure,
Avoit en guize d'esperons
Desja mis ses deux aislerons;
Beu deux coups, payé sa couchée,
Et mis au poing son Caducée,
Avecques son chapeau pelu
Pour couvrir son crane velu.
Lors que voyant Junon parée,
Preste de prendre sa volée,
Dessus son Chariot tiré
Par quatre Pans au cul doré:
Venus sur ses deux Colombelles;
Pallas avecques ses deux aisles:
Le Dieu prit son vol à l'instant,
Les autres en firent autant:
Lesquels en moins d'heure et demie
Eurent passé la Thessalie;
Traversé de Trace le Mont,
La Macedoine, l'Elespont;
Rhodes, Candie, et les Ciclades,
En fin, apres maintes Bourgades,
Mainte Villasse et maint Hameau,
Mainte Campagne, et maint Ormeau,

Ils decouvrirent, non sans joye,
L'ample et noble Cité de Troye,
Qu'à senestre ils laisserent là
Pour tirer vers le Mont Ida,
Où comme j'ay dit Alexandre
Pâris dessus l'herbette tendre,
Paissoit de vaches maints troupeaux;
Tantost enflant ses chalumeaux,
Et tantost chantant à voix plaine
Mirlaridon, laridondenne:
Ausquels chants alloient respondans
Mille echos mirlaridondans:
Mais pour lors dans un antre-sombre,
Le beau Pâris estant à l'ombre
Ne mirlaridondinoit rien:
Ains joüoit avecques son chien,
Qui sans avoir soucy ny cure
Des Dieux, voyant venir Mercure
Avec son Caducée en main,
L'auroit devisagé soudain,
Sans Pâris qui retint la beste,
Luy jettant souliers à la teste;
Puis audit Dieu dit, ce dit-on,
Monsieur, quittés votre baston,
De tous les chiens de ce Village,
Il n'en est pas un qui n'enrage,
Voyant un homme embastonné,
Le mien est un Diable incarné,
Il ne cognoist ny Roy ny Maistre,
Il est meschant et mord en traistre;
Ses dens percent Fer et Leton,
Monsieur, quittés vostre baston.

De cét advis ne fit que rire,
Le Dieu lequel se prit à dire,
Berger icy ne suis venu
Pour des chiens estre entretenu;
Sans employer tant de langage,
Je sçay que ton chien n'est pas sage:
Mais fut-il fol mille fois plus
Que le grand chien dit Cerberus,
Pour luy j'en baisserois moins l'aisle,
Que pour un chien de Damoiselle;
Car, Dieu mercy dans la main j'ay
Ce que les Rats n'ont pas mangé:
De Lezards ma verge enlassée,
(Dit-il) montrant son Caducée,
N'est pas un miserable ergot
Tiré des trippes d'un fagot:
Ains un baston plus honorable,
Plus glorieux et venerable
Que la ferule d'un Regent;
Ny que la verge d'un Sergent.

C'est le Sceptre, et la riche marque
Dont moy, comme un petit Monarque,
De toute chose viens à bout;
C'est ma clef, mon passe-par-tout;
Mon coutelet, et ma lancette,
Dont je seigne bource et pochette:
Mon tirebours, et mon crochet,
Dont je prends l'or sans trébuchet:
En fin la verge assoupissante,
Dont j'endors valet et servante:
Argus un Vacher comme toy
T'en diroit bienie ne sçay quoy.
De plus, je veux bien que tu sçache,
Toy, ton Chien, ton Boeuf, et ta Vache,
Que celuy qui la porte au poin
N'est rien moins qu'un homme de foin:
Ains le Fils du Lance-tonnerre,
Transmis par son vouloir en terre,
Pour guider trois divinités,
Qui ne sont vulgaires beautés;
Ny Deesses porteguenilles,
Ains la Soeur, la Femme, et les Filles
De mon Pere, qui parmy l'air
Faict briller la foudre et l'esclair.
Entre elles est noise aspre et dure,
Pour beauté; parquoy te conjure;
Et te commande quant et quant
Au nom du mesme Altitonant
D'essuyer un peu ta main sale
Pour prendre la pomme fatale,
Que je remets entre tes mains
Comme au plus juste des humains,
Pour des trois la donner à celle
Que tu trouveras la plus belle.

A ce propos camus tout net
Fust le gentil Bergeronnet:
Lequel n'ayant veu qu'en peinture
Les Dieux, bien aise je vous jure,
Fut alors de voir le Roquet
De ce grand Dieu porte-paquet;
Auquel d'une voix claire et nette
Il dit, deffulant sa barrette:
Divin Courrier des Immortels
Qui me faictes des honneurs tels
Qu'à tels honneurs ne puis que dire,
Fors que de moy vous voulés rire:
Ce qu'à vous autres est acquis;
Qui plus heureux que des Marquis
Dans vos Carosses et Littieres
Faictes farces de nos miseres.

Je suis un pauvre Roquantin
Qui ne sçait ny Grec ny Latin,
Qui n'ay denier, ny croix, ny pille
Qui ne chante, ny couds, ny file;
Je ne sçay que boire et manger,
Comment donc un procés juger?
Je ne fus onques à l'eschole,
Ny de Cujas ny de Bartole.
Au Barreau je n'eus onc accés,
Comment donc juger un procés?
Bien je pourrois un air champestre
Menant mes Boeufs, et mes Boucs paistre
Faire dire à mon chalumeau
Juger d'une Vache ou d'un Veau:
Mais de me porter pour arbitre
Ma foy non pas pour une Mitre,
J'aurois trop peur, en verité,
De Juge ayant la qualité,
Jugeant ces Divines Princesses
De prendre mon nés pour mes fesses.

A l'aspect de ses Deités
Si fort esgalles en beautés,
Je pense voir trois fleurs escloses,
Trois Oeillets, trois Lys, et trois Roses;
Trois estoilles, et trois Soleils,
Trois nés esgaux, trois culs pareils.
Est-ce vous donc qui pourrez dire,
Estans toutes comme de cire,
Quelle est la plus belle des trois,
Je vous le donne en quatre mois.
Dispensés moy, donc, ô Mercure
De tant d'honneur, cette avanture
N'a pour moy rien que de suspect;
J'ay pour les Dieux trop de respect,
Lesquels, pour porter cette charge
Ont d'un pied l'espaule plus large
Que moy, qui n'ay pas les reins forts
Pour faire de si grands efforts.
Alexandre en cette maniere,
Tant par raison que par priere
Essayoit de fleschir le coeur
De l'inflexible Ambassadeur:
Mais peu luy servit telle excuse;
Car Mercure qui n'est pas buze,
Voyant qu'il falloit parler Grec,
En trois mots luy ferma le bec,
Luy faisant voir lettre patante
De sa grandeur Altitonante:
Et luy disant trois fois mon cher,
Obeissés à Juppiter.

Ce qu'entendu, sans autre instance
Par une honneste prevoyance
Qu'enseigne l'honneste devoir,
Le beau Pâris apres avoir
Mis une espingle à sa brayette,
Demy panché sur sa houlette;
Guignoit ces objects radieux:
Quand Junon faisant les doux yeux
Avec un pas de sarabande
Qu'elle avoit appris en Hollande,
Aborda le Berger guignard,
Puis avec un souris mignard
Luy fist cette belle harangue
Que j'ay traduite en nostre Langue.

 

 


Charles Coypeau d'Assoucy

 

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