Charles Coypeau d'Assoucy (1605-1677)
Recueil: Le Jugement De Pâris En Vers Burlesques (1648)

Premier Chant


 

Chanter je ne vay point la Pomme,
Par laquelle le premier homme
Miserablement fut perdu,
Et tout le monde confondu:
Mais bien la Pomme reluisante,
Pour laquelle Deesse gente
Au beau Pâris monstra le cu,
Dont s'ensuivit un Roy cocu.

Pomme qui jetta la Discorde,
Dont apres, sans misericorde,
Maint pauvre homme eust le cou cassé,
Qui je croy s'en fust bien passé.
Oyés donc, Lyonne, que j'ayme,
Non pas du tout tant que moy-mesme;
La noise qui sur Pelion
Causa de maux un million.
QUAND pour les nopces de Pelée
Tout fut cuit, et qu'à l'assemblée,
Le disner estant appresté,
On eust dit Benedicité.
Lors des Dieux la troupe brillante,
Qui la piece de boeuf tremblante
Auparavant avoit fleuré
Du haut de l'Olympe doré:
Comparut ardante à la soupe;
Se ruant la susdite Troupe
sur mille potages divers,
Comme estourneaux dessus poids vers.
Là size estoit, que Dieu benie,
Thetis l'espouse tant jolie,
Occupant le plus digne lieu
Prés du tonnitruaire Dieu.

Au mesme bout levoit la creste
Junon plus fiere que tempeste,
Laquelle porte, ce dit-on,
Un tantin de barbe au menton.
Junon de rage forcenée,
Et qui voudroit estre damnée
Alors qu'elle void son mary
Couver des oeufs au nid d'autruy.
Plus bas estoit son digne frere,
Le Roy salé de l'onde amere
Suivi de Glauque et des Tritons,
Moitié Dieux et moitié Poissons.
Apres, de science pourveuë,
Qui ne fut onc lasse ou recreuë
De travailler soir et matin,
Estoit qui sçait Grec et Latin,
Pallas qui ne laissa mau-sage
Onc aller le chat au fromage.
Apres suivoit au front cornu,
Qu'il ne fait pas bon voir à nu,
Diane qui fit, trop cholere,
Un trait qui n'estoit pas à faire
Au pauvre chasseur, qui je croy,
Avoit guigné je ne sçay quoy.

Pas loin n'estoit gente Deesse
A cuisse ronde, et blanche fesse,
La belle et gaillarde Cypris,
Tenant en main monsieur son Fils;
Cupidon qui ne la craint guere:
Petit broüillon, enfant d'un Pere,
Broüillon aussi, nommé Chaos,
Duquel on dit qu'il est esclos.
Qui lançant dard, ou lançant Pierre,
Prend souvent %S.. Paul pour %S.. Pierre
Et quelquefois, tant il est fol,
Aussi Sainct Pierre pour Sainct Pol.
Tout vis à vis le bon Apostre,
Estoit qui jaze autant qu'un autre,
Mercure qui dés son maillot
Fit bien voir qu'il n'estoit pas sot:
Dérobant la noire pincette
Au Dieu Vulcan porte fourchette.
Plus haut estoit mauvais guerrier,
Mais bon Chantre, et Menestrier,
Phebus dont la face tant belle
Espargne icy mainte chandelle;
Trainant tousjours à son costé
Les neuf Muses au cul croté,
Qui chemise en dos n'avoient mie;
D'autant que, Commere mamie,
Brin n'estoit encore en ce temps
De Harcours, ny de Sainct-Agnans.

Prés ces filles à maigre coine
Trinquoit Bachus, gras comme un Moine,
A Silene le bon viellard
Suivi de son asne paillard,
Qui sur l'Espouze vouloit faire
Un acte à la vertu contraire:
Piqué d'un desir furieux
De mettre un asne au rang des Dieux.
Apres iceux tenoit la couppe
Le beau mignon qui porte en crouppe:
Versant à boire d'un grand vin
Au Dieu qui fait le Tabarin.
Momus tousjours prompt à mesdire;
Ce que sçachant par ouïr dire,
Le flattoit, craignant le garçon,
D'entendre pire que son nom;
En fin, à l'odeur de la chere,
Fils ne fust pas de bonne mere,
Qui ne vinst y lecher les plats;
Tout y vint, mesme jusqu'au chats.

Seule, si bien je me recorde,
Pas ne s'y trouva la Discorde:
D'autant, je croy, qu'on l'oublia,
Et que nul ne la convia:
Dont de despit elle eust courage
De renverser pots et potage:
Mais crainte de Dieu l'empescha,
Et seulement ces mots lascha;
Doncques je seray mesprisée
De vous, Madame, l'Espouzée,
Qui, je croy ne me croyez pas
Digne de faire un bon repas.
Sans moy vous hausserez la couppe,
Et seray seule de la troupe:
Qui soupe point ne mangera;
Par mon ame il vous en cuira.
Dignes ne sommes ce vous semble,
De boire un petit coup ensemble,
Mais la feste se passera,
Et puis nous verrons qui rira.
Moy qui suis en toute contrée
De tous les peuples redoutée,
Qui n'espargne ny Roy ny roc,
Ains qui commande à cappe et froc.

Ce Jupin qui lance la foudre
Est-il plus craint pour mettre en poudre,
Et briser le bec aux rochers,
Que moy qui mets bas les clochers;
Qui destruis les villes superbes,
Et les hauts Pins esgale aux herbes?
Pourtant de moy l'on se rira;
Par mon ame il leur en cuira.
Soupe n'est pas ce qui me touche,
Tant ne suis sujette à ma bouche.
J'ay du pain cuit et çà et là,
Et quelque chose apres cela:
Mais de me laisser en arriere
Comme un tronçon de chambriere,
Discorde ne le souffrira:
Par mon ame il vous en cuira.
Tost vous sçaurez, Troupe insensée
Que fille par soupe offensée,
Par Pomme qu'elle cueillera
Tost par Pomme se vangera.
A tant se teut la Lime-sourde,
Qui prenant pain, baston et gourde,
Et quelques figues dans son sein,
Se mit promptement en chemin,
Vers l'Orient tirant grand' erre
En certain coin d'estrange Terre:
Dont je ne puis dire le nom
Sans regarder mon Lexicon.

Bien sçai-je que parmy le monde
Onc ne fust terre si feconde:
Aussi cét agreable lieu
Estoit par delà tant soit peu.

En cette fertille contrée,
Où l'Hyver n'eust jamais d'entrée,
Regnoit un Prin-temps eternel;
Le jour y duroit perennel:
Car du Ciel l'ardente prunelle
Là ne roulloit son estincelle;
Ny ne sortoit de ses confins
Pour aller luire à des coquins.

Là jamais l'insolente Bize
Ne boursoufloit cotte ou chemise,
Ne raffloit calle ny chappeau,
Ny n'enfondroit bac ny batteau;
Ains tousjours l'amoureux Zephire
Y chatouïlloit pour faire rire:
Bergere tousjours y chantoit,
Et le joly May l'on plantoit.

Tousjours on y coupoit la gerbe,
On y crioit à ma belle-herbe,
Bon Ipocras, et vin nouveau,
Et non jamais, qui veut de l'Eau.
Car du Vin les rouges fontaines
Courant parmy vallons et plaines
Y formoient de mille ruisseaux,
Cent fleuves à porter bateaux.
Dans icelle tant riche Terre,
Où meilleur y fait qu'à la guerre:
Viellesse n'avoit point d'accez,
Non plus que messieurs les procez.
On n'y voyoit point de Notaire,
De Soldat, ny d'Apoticaire,
De Siringue, ny de Bassin,
De Mule, ny de Medecin.
Point de venin, ny de reptile,
De couleuvre, ny de Chenille;
De Capuchon, ny de Turban,
De Caballe, ny d'Alcoran.
Point de Guerre, ny de Famine,
Ains sempiternelle Cuisine.

Fruicts nouveaux en toutes saisons,
Pommes, Poires, Figues, Melons
Là les Pruniers, blanches et brunes
En tout temps y donnoient des prunes;
Les Noyers y donnoient des nois,
Les Forests de l'ombre et du bois;
Les Jardins de longues allées,
Et les montagnes des vallées.
Un arbre seul illec estoit,
Un Pommier qui pommes portoit;
Dont on eust fait un bel eschange
En beaux Ducats au Pont au Change:
Car ledit Pommier estoit d'Or,
Gardé comme un riche tresor:
Ayant tousjours pour seure garde
Un fier Dragon, qui n'avoit garde
De dormir, ayant en tout temps
Un oeil à la ville et aux champs.
Fors Perseus, nul en sa vie,
N'eust la peau du cul si hardie
D'en approcher de quatre pas
Sans y laisser jambes ou bras.
La Discorde, de rage atteinte,
Planta piquet, et non sans crainte,
Ses patins elle dechaussa,
Et comme un Serpent s'y glissa.

Si bien que la fine Donselle
Fit tant qu'elle en eust pied ou aisle,
Je ne sçay pas comme elle fit,
Tant y-a qu'une elle en cueillit
Grosse environ comme la teste,
En despit de la fiere beste,
Qu'elle endormit de longs propos,
Et charma, luy contant fagots.
Ce faict, sans regarder derriere,
Ny renoüer sa jarretiere,
Craignant d'estre flambée au lard,
S'enfuit plus viste qu'un trait d'arc
Sur Pelion, où pour s'esbatre
Les Dieux faisoient le Diable à quatre;
S'estant faicts par maintes raisons
De moult beaux et jolis garçons.
Là dessous la verte fueillade
Les uns chantoient faisans gambade,
Et les autres en caleçons
Y dansoient aux gayes Chansons:
Mercure y joüioit de la harpe,
Glauque y faisoit le saut de carpe,
Jupin y joüoit au billard,
Cupidon à colin-maillard.

Les Graces à cligne-mussette,
Et leur Mere à criconcriquette.
Mars y joüoit de l'espadon,
Dont s'effrayoit Poule et Dindon.
Le bon Bachus joüoit du flasque:
Appollon du tambour de Basque.
Diane y chassoit Biche et Fan,
Cottes y troussoit le Dieu Pan
Les Amours y joüoient à courre,
Et le Dieu Vulcan à la Mourre:
Où joüant point ne s'aduisoit
Que les Cornes on luy faisoit.
Ainsi par jeux et promenades
Les Dieux, crainte d'estre malades,
Alloient abbatans leurs morceaux:
Quand du profond d'un bois d'Ormeaux
Discorde sans estre apperceuë,
Comme l'esclair qui fend la nuë,
L'air de la Pomme elle fendit;
Laquelle roulant se rendit
Aux pieds de la Troupe immortelle.
Qui me contera la querelle
Que ce dangereux fruict de mort
Causa dés son fatal abord?

Pour elle que de dents cassées,
Que de machoires enfoncées,
Que d'yeux pochez au beurre noir,
Que de divins cus au pressoir,
Combien de robes deschirées,
et d'omoplates enfondrées,
Que de Rosaires deffilez,
Et de nobles tests défulez:
Quel de cette fiere escarmouche
Rapporta quatre dents en bouche,
Qui n'eust au moins deux bras froissés,
Avec cinq os du cul cassés.
Que si vous me demandez comme
Les Immortels pour une Pomme
S'entretuoient ainsi de coups:
Je vous diray qu'ils estoient sous.
Bien qu'en cette digne journée
Ce ne fust pas tant la vinée,
Ce croit-on, qui les tourmentoit,
Que le Diable qui les tentoit:
En fin apres mainte taloche,
Maint coup de dent et d'ongle croche,
Les foibles cederent aux forts:
Et la Belle fut prise au corps.

La Pomme, à l'entour de laquelle
Avoit en lettre telle quelle,
Discorde escrit je ne sçay quoy,
Qui causa vergogneux employ
A maints Dieux de la Compagnie,
Lesquels lire ne sçavoient mie;
Lors qu'un grand Clerc, nommé Phoebus,
Faiseur de vers et de rebus,
Leut ces mots, en substance telle,
Je suis vouée à la plus belle:
Ausquels mots s'esleva clameur
Soudaine, et nouvelle rumeur;
Pensant chacune en conscience
En meriter la preferance:
Mais peu leur servit tel debat,
Car enfin, apres long sabat,
Longue querelle, et longue insulte,
Trois beautés, dignes de haut culte,
L'emporterent, à sçavoir mon,
Minerve, Venus, et Junon;
Qui de ce pas toutes ensemble
Coururent plus viste que l'amble
Vers le Monarque Altitonant,
Arbitre de tout different:

Qui les voyant comme Bacchantes,
Vit bien à leurs faces changeantes,
Qu'entrelles, comme dit Platon,
Estoit quelque merde au baston:
Mais il se tint coy pour entendre,
Minerve, qui pucelle tendre,
Vers Juppiter haussa la voix,
Et parla seule au nom des trois:
Arbitre des Dieux et des hommes
Pour des poires ny pour des pommes
Devant toy ne sommes icy,
Bien plus grand est nostre soucy:
Veüille donc, ton Altitonance
Nous accorder breve sentence
Touchant ce rare et riche fruit
Où nostre procés est instruit.
Ce dit, Jupin de sa pochette
Tirant claire et fine lunette,
Prit la Pomme, et jetta les yeux
Sur cét escrit seditieux:
Puis respondant à leur requeste,
Comme un Dieu qui n'estoit pas beste,
Leur fit ce gracieux discours
Capable d'adoucir un Ours;
Racommodez vos collerettes,
Ostez, mes filles tendrelettes,
Avecques ce drapeau mouïllé
Le sang de vostre nés caillé.

Pardonnez-moy, mes cheres filles,
Tant de mon test que de mes quilles:
Et vous, ma fidelle Junon,
Pardonnez-moy si je dis non;
Chacune de vous m'est trop chere;
A toutes suis Espoux ou Pere:
Cherchez donc juge de ce pas
Qui Pere ou mary ne soit pas.
Assez pres des rives du Xante,
Qui de son eau claire et coulante
Lave les pieds du mont Ida,
Un Berger vous trouverez-là,
Lequel avecques sa muzette,
Sa pannetiere, et sa houlette,
N'a pas tousjours en pauvre lieu
Mangé son pain au coin du feu:
Il est Grec en toute science;
Il sçait la musique et la dance:
Piquer chevaux, faire Tournois,
Parler Espagnol et François:
Manier Piques et Rondaches;
Et de plus bien garder les Vaches;
C'est la fleur de toute beauté,
D'honneur et de sincerité:
Il est accord, prudent et sage;
Ne dedaignés ce personnage,
Pour estre habillé de Quintin:
Son Pere est vestu de Satin;
Le plus gros Bourgeois de l'Asie,
Priam, qui je vous certifie,
Est des Roys le plus apparent,
Et mesme un peu nostre parent.
Tenez donc prestes vos valises,
Tous vos colets, et vos chemises:
A demain soit vostre depart,
Car pour ce soir il est trop tard:
Allés soudain, et n'ayez cure
Que de suivre mon fils Mercure;
Tandis je m'en vais sans delay
Donner quatre coups de balay
Aux Regions des noires nuës
Pour chasser les gresles cornuës,
Qui pourroient gaster vos cheveux,
Vos rabats, et vos souliers neufs.

Ce dit se leva de sa place;
Juppin qui les baisant en face
Apres le bon jour et bon soir,
Leur dit Adieu jusque au revoir.
D'autre part les Dames gentilles
Promptement trousserent leurs quilles,
Puis tirerent droit au Faux-bourg
Pour desloger au point du jour.

 

 


Charles Coypeau d'Assoucy

 

03charles coypeau d assoucy