Charles Coypeau d'Assoucy (1605-1677)
Recueil: Les métamorphoses d'Ovide En Vers Burlesques (1650)

Le Serpent Pithon


 

Ainsi parut humaine face
Sur la Terre, qui de sa crasse
Conceut des Chiens et des Chevaux,
Et tous les autres Animaux
Qui peuplent aujourd'huy les Tables,
Les Bois, les Champs, et les Estables;
Plusieurs Monstres elle poussa;
Je ne sçay pas qui l'engrossa
De Pithon, venimeuse engeance,
Serpent, lequel dans sa naissance
Quand la Terre en eût accouché,
Estoit plus grand qu'une Duché;
D'autres disent plus qu'un Royaume;
Mais si croire en faut Maistre Cosme,
Qui jouë fort bien du Serpent,
Il n'estoit long que d'un arpent;
Encore le sieur de Serpille
Dit que ce n'estoit qu'une anguille;
Quoy que c'en soit, à tout hazard,
Anguille, Serpent, ou Lezard,
Dragon, Couleuvre, ou Crocodille,
C'estoit une fausse Chenille,
Qui ne se curoit pas les dens
Avecques des petits Enfans,
Mais avecques des grandes Villes
Qu'il avalloit comme lentilles;
Si bien que si tel garnement
Encor eust vescu seulement
Deux minutes et deux journées,
Avec quatre ou cinq mille années,
Le pauvre Monde estoit détruit;
Mais Phebus, Archer bien instruit,
Entreprit ledit Monstre abattre;
Ce qu'il fit, non pas sans combattre,
Ny sans jetter flâmes et feux;
Pithon, Serpent vaillant et preux,
Faisoit rage de sa personne;
D'autre part le Fils de Latone
Ne s'épargnoit ny prou ny peu;
Si l'un attaquoit comme un Dieu,
L'autre se defendoit en Diable;
C'estoit chose moult effroyable,
De voir les flâmes et les dards
Qui se lançoient de toutes parts,
Les feux et les rouges flâmesches;
Phebus avec toutes ses flesches
Fut en danger plus de trois fois
D'y laisser son noble Carquois,
Et s'en retourner sans rien faire,
Ayant brûlé dans cette affaire
Six onces d'or de ses cheveux,
Receu des soufflets plus de deux,
Et perdu trois dents machelieres;
Jaçoit qu'apres maintes carrieres
Finalement Monsieur Phebus
Luy fit chanter son In manus,
Qui fut un beau chant pour sa gloire,
Duquel pour garder sa memoire
Beaux jeux le Monde institua;
Qui celuy qui Pithon tua,
Selon les oeuvres Poëtiques,
Fit appeller les jeux Pitiques,
Pitiques nommez à Pitho,
Comme dit le Pere Peto,
Où n'estoit receu ny bequille,
Podagre, ny jambe de bille,
Ny gens portans souliers trop longs,
Corps és pieds, ou mule aux talons,
Ny fers piquans; hé pourquoy ? pource
Que c'estoient les jeux de la course,
Où qui gagnoit, estoit mené
En triomphe, ou bien entraisné,
Couronné de fueille de Chesne,
Et par fois de fueilles de Fresne;
Car pour écu ny pour denier
N'estoit alors brin de Laurier,
Dont tres-piteuse doleance
Faisoient les Jambons de Mayence,
Et les nobles Poëtes aussy;
Phebus seul n'estoit en soucy,
Quoy ceignit sa tresse dorée
Rave, persil, ou chicorée;
En ce Temps il trouvoit tout bon;
Faute d'un Chapeau de chardon,
D'ortie, ou de fueille susdite,
Coiffé se fut d'une marmitte,
Car lors il n'avoit, ce dit-on,
Senty le feu de Cupidon

 

 


Charles Coypeau d'Assoucy

 

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