Charles Coypeau d'Assoucy (1605-1677)
Recueil: Les métamorphoses d'Ovide En Vers Burlesques (1650)

Fable II - Le debrouillement du Chaos


 

Des que cette masse embroüillée
Fut, comme est dit, debredoüillée,
Et que ces quatre Garnemens
Eurent pris leurs appartemens,
Que chacun en sa chacuniere
Eust marmite, pot, et cuilliere;
Bref, comme dit Maistre Mace,
Dés que chacun fut in pace,
Ce grand Prefect de la Nature
Qui fit terre et fit creature,
Voulut, et voulant il fut fait,
Que pour rendre ce tout parfait,
Nostre bonne Mere nourrice
Eût le ventre rond comme un Suisse,
Aussi-tost fait, qu'aussi-tost dit,
La Terre en Suisse s'arrondit;
Ainsi ronde comme une Cuve
Où rit Bacchus quand le vin cuve,
La relia de cinq cerceaux,
Les uns frais, et les autres chaux,
Plus grands que ceux dont est coûtume
D'enfermer la vineuse écume
Du gentil-joly Dieu Bacchus,
Fils d'une jambe et de deux cus.
Ce fait, il l'orna de Fontaines,
De Canaux, de Samaritaines,
De Prez, de Jardins, de Forests,
De Lacs, d'Estangs, et de Marests,
Desquels encor avons exemple
Et coppie aux Marests du Temple;
Son front il émailla de Fleurs,
Moins pour croquans Rethoriqueurs,
Que pour nez de Bergere tendre,
Puis luy commanda de s'étendre;
Ce qu'aussi-tost qu'elle entendit,
Baaillant humblement, s'étendit,
Non pas en montagnes hautaines,
Ains en belles et longues plaines,
Toutes prises sur le niveau
De la Plaine du Long-boyau;
De plus, il fit metaux et marbres,
Des fleurs aux fruits, des fruits aux arbres,
Aux Vallées et fit beaux Mons,
Et aux Montagnes beaux Vallons;
Car voir Montagne sans Vallée,
Certes choses trop desolée,
Et trop piteux cas eust esté,
Que parfaire sa Deité,
N'auroit pû sans se contredire,
Pour Royaume ny pour Empire.
Plus, il la peupla de Moutons,
De Coqs, de Jars, et de Dindons,
D'oysons bridez, de Chats sauvages,
De Perroquets pour mettre en cages,
De Sansonnets, de Cerfs volans,
De Simonets, de Chiens courans,
De Rinocerots, de Lycornes,
Et de Cocus, bestes à cornes,
Plus fieres qu'Anguilles de Bois,
D'Emerillons, de Chiens d'Artois,
De doux Serains de Canarie,
Et de Rossignols d'Arcadie
Qui font la nique aux Amphions.
La Mer il peupla de Saumons,
Et de Soles bonnes à frire,
Pour les gens du Roy nostre Sire,
De Harengs frais et d'Esperlans,
De Maquereaux et de Merlans,
De Sphisiteres, de Balenes,
Et de Poissons nommez Sirenes,
Chanteuses de Lanturelus,
Bref de tous les Individus,
Depuis le Chat de Peronnelle
Jusqu'au Chien de Jean de Nivelle,
Depuis le Rat Muzeardus
Que devora Rodilardus;
Jusqu'aux Bestes, ne vous déplaise,
Qu'avec honneur on porte en chaise.

Ce benoist Monde il popula.
Que restoit-il apres cela ?
Fors trouver quelqu'un (dit Ovide)
Qui de cerveau ne fut pas vuide,
Et fut digne en cette Maison
D'y plumer la Poulle et l'Oyson,
Capable d'y sonner les Cloches;
Mesme d'y tourner quatre Broches,
Vuider, larder, coucher au feu;
Laquelle chose fut un peu
Au Conseil des Dieux contestée;
Mais un Larron dit Prometée,
Qui la Toillette aux Dieux plia,
En disant cum licentia,
Entreprit cet oeuvre parfaire,
Qui pour luy fut mauvaise affaire,
Car humain Corps il figura,
Puis au cul Torche luy fourra,
Dont son ame au diable est allée,
Car la Torche il avoit vollée,
Comme chacun sçait, au soleil,
Qui luy causa deüil nompareil.
Ainsi l'Homme, plante Divine,
Tira du Ciel son origine,
Portant la Teste vers les Cieux,
Où Nature ficha deux yeux,
Vallans bien paire de Lunettes,
Pour contempler Astre et Planettes,
Et regarder incessamment
Les miracles du Firmament.

 

 


Charles Coypeau d'Assoucy

 

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