Charles Coypeau d'Assoucy (1605-1677)
Recueil: Les métamorphoses d'Ovide En Vers Burlesques (1650)

Fable IV - L'Age de Fer


 

Mais si tost que le bon Saturne,
Dieu pacifique et taciturne,
Fut de son Trône deboutté
Par son Fils, un Enfant gasté;
Si tost, dis-je, que ce bon Pere,
Non sans fievre et douleur amere,
Loin du Nectar, se vit forcé
À ne boire que Vin poussé,
Cette heureuse Saison dorée,
Par ce changement alterée,
Finalement se dédora,
Puis en argent dégenera;
Siecle d'Argent, non tant aimable
Que celuy d'Or, mais plus loüable,
Et beaucoup plus Siecle d'honneur
Que son vaurien de successeur.
Ce fut alors que pour s'ébatre,
Jupin voulant des Saisons quatre,
Fendit en quatre le Printemps,
Dont il tira les quatre Temps
Qui viennent quatre fois l'année,
Tous par fois dans une journée.
Lors commença le chaud Esté
Qui mene un Chien à son costé,
De haller toute la Nature;
Et le Pere de la froidure
L'Hyver, humide et cathereux,
De monstrer son nez roupieux,
Laissant sur le Mont et la Plaine
Courir aux vents la pretantaine,
Qui faisoient, sans obstacle nul,
Merveille de souffler au cul.
Avant ce Temps, la creature
Qui n'avoit eu pour couverture
Que l'étoillé manteau des Cieux,
Pour abrier son cul frilleux,
Se vit contrainte, sans lanterne,
De rechercher antre et caverne,
Les caves, les nids et les trous
Des Serpens et des Lougarous.
Ce fut alors, Mere innocente,
Que du soc la lame tranchante,
Par l'iniquité des Humains,
Vous fit (dit-on) grand mal aux reins;
Vous eustes beau, Mere dolente,
Crier, Oncle, Cousin, ny Tante,
N'empescherent ces fiers Enfans
De vous en donner dans les flancs;
Vous en eustes, pauvre Pucelle,
Pour le moins un bon pied dans l'esle,
Dont pourtant n'en mourûtes pas,
Bien que ce fut un vilain cas.
Encore, pauvre Mere outragée,
Pour saouler la faim enragée
De ces fameliques matins,
Enfans du lait de vos tetins,
Las vous fustes, pauvre affligée,
En plus de loppins partagée,
Que n'est (dit-on) de feüille au bois;
Vous fustes le gasteau des Rois,
Duquel l'Homme, meschante espece,
Non content d'avoir pris sa piece,
Encore déchira vostre peau;
Pour trouver la febve au gasteau,
Vous farfoüilla jusques au centre,
Vous tira les trippes du ventre,
Mines d'Argent et mines d'Or,
Qui fut un vilain cas encor,
Sale desir, orde avarice,
D'où vint aux Hommes l'injustice,
Qui hardis et prompts à la main
Enterent le Fer sur l'Airain.
Siecle de Fer, d'humeur avare,
Qui ne dût, estant si barbare,
Estre nommé Siecle de Fer,
Mais bien plûtost Siecle d'Enfer,
Puis qu'en ce Siecle detestable
D'Ange, l'Homme devint un Diable,
De Pacifique, un Fanfaron,
Et d'Homme sainct, un fin Larron,
Un Tygre, un Dragon plein de rage,
Bref, un Coquin pour tout potage,
Qui ne valloit, ny n'estoit bon,
Qu'à pendiller à Montfaucon,
Guestant, passant et faisant course,
Pillant, vollant, et couppant Course,
Lors la Chair, le Monde, et Satan,
Qui s'entendent depuis maint An
Tous trois comme Larrons en Foire,
Pires que des Gens d'Escritoire,
Mirent pour nous perdre tout net
Leurs trois Testes dans un bonnet,
Beurent dans une Lechefrite,
Ne firent plus qu'une Marmite;
Et pour nous attrapper au jeu,
Mirent tous trois les fers au feu.
Adonc tant les Geais, que les Pies,
Jetterent le Froc aux orties,
Et mirent Breviaires au croq,
Pour plumer la Poulle et le Coq.
Ce fut alors que Frere Estienne,
Apres avoir juré mordienne,
Mit une épingle à son chappeau,
Prit esperon, piqua Moreau,
Empoigna pieu, pique et rondache,
Et sur sa teste de ganache
Posa trois plumes de Heron,
Pour faire crier au Larron.

Ce fut alors qu'à mine fiere
Parut ce grand porte rapiere,
Bras de Fer, qui tout le premier
Fit trembler le Lard au Charnier;
Puis vindrent les Scarabombilles,
Les Manchots, les Jambes de billes,
Les Ballafrez, les Breschedens,
Qui tous ensemble alloient jettans
Gens et Maisons par les fenestres,
Détroussans Lais, détroussans Prestres,
Mordans, grondans, fumans, humans
Jusqu'au lait des petits Enfans.
Ce n'estoit que sang, que carnage,
Que feu, qu'horreur, que brigandage;
Il n'estoit point de seureté,
Tout trembloit sous l'iniquité,
Le Villageois dans sa Chaumiere,
Le pauvre Cerf dans sa Tanniere,
L'Artisan dessous son Auvent,
Le Coupechou dans son Convent,
La Graisse dans la Lechefrite,
Et la Chair dedans la Marmite;
Nul ne pouvoit, la Miche en main;
Se dire maistre de son pain,
De son lard, ny de son fromage;
Car seul avoit tout l'avantage,
Et le Prince estoit des Humains,
Qui avoit plus de force aux reins,
Plus grands pieds, et large fressure,
Bernans les Dieux et la Nature.
Ce que voyant Dame Vertu,
D'une main se grattant le cu,
Et de l'autre troussant ses quilles,
Tira ses chausses, et fit gilles;
D'autre part, la Dame Themis
Voyant comme ses bons Amis
Traittoient les Dames de sa sorte,
Sans diferer, gagna la porte,
Prit à son col ses deux jarrets,
Puis se sauva par les marets
Au ciel, le lieu de sa naissance,
Laissant aux Humains sa Balance,
Dont ils se servent de crochet
Pour prendre l'or au trebuchet.

 

 


Charles Coypeau d'Assoucy

 

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