Charles Coypeau d'Assoucy (1605-1677)
Recueil: Les métamorphoses d'Ovide En Vers Burlesques (1650)

Fable III - L'Age d'or


 

Lors commença, comme je pense,
Le premier Aage d'Innocence,
Autrement nommé l'Aage d'Or,
Bien que Dame Justice encor,
Parlant en toute reverence,
N'en eût fait luire sa Balance,
Heureux Aage, Siecle doré,
Où chacun dormoit asseuré,
Sans peur de perdre sa journée
Toute la grasse matinée.
Siecle d'Or, mais d'Or de Ducat,
Où l'Homme fort peu delicat
Mangeoit sans nappe, sans salliere,
Et son potage sans cuilliere,
Beuvoit dans le creux de sa main,
Où sans soucy du lendemain,
Grace à la Terre nostre Mere,
Il trouvoit dequoy se refaire.
Heureuse Saison, heureux Temps,
Où les Cannes alloient aux Champs
Sans craindre couteau ny jambette;
Où comme le Poupon qui tette,
Le Vieillard le plus édenté,
Disoit encor Maman tetté,
Se joüoit, faisoit la disnette,
Puis dansoit la cascarinette,
Couroit apres la Barbe à Dieu,
Alloit à la Feste à Gouvieu,
Puis faisoit avec que sa Femme
Pain pigo tambourin Madame.
Heureux Temps, heureuse Saison,
Où n'estoit Porte ny Cloison,
Ville, Maison, ny Pont, ny Planche,
Où l'on se mouchoit sur la Manche,
Où sans scrupule on se grattoit
Justement où il démangeoit,
Où n'estoit Medecin ny Mule,
Juge, prison, ny bassecule,
Meutres, ny vols, ny feux, ny fers,
Grippeminaux ny gris, ny verds,
Ny gon, ny clou, ny clef, ny coffre,
Ny Magistrat, ny Lifrelofre,
Vente, ny troq, combat, ny choq,
Cappe, ny froc, griffe, ny croq,
Toquetambour, trompe, ny cloche,
Croquedindon, ny pres, ny proche,
Puce, ny pou, dartre, ny clou,
Moyne bourru, ny Lougarrou.
Bien-heureuse Saïson dorée,
De tous les Peuples reverée,
Où tous les Animaux contens,
Et les Hommes parmy les Champs,
Sans soupçon et sans défiance,
Passoient la Nuit en asseurance,
Et ronfloient jusqu'au lendemain
Sans remuer ny pied ny main,
Sans craindre catharre, ou migraine,
Flux de ventre, ou fievre quartaine;
Où plus contens et plus heureux
Que petits Roys, ou petits Dieux,
Ils n'avoient soucy d'autre affaire
Que de dormir, faire grand chere,
Rire, danser les mattassins,
Et de joüer des mannequins,
Se veautrans, allans sur l'herbette
À quatre pattes, à courbette,
À petits sauts, à petits bonds,
Comme gentils petits Moutons,
Joüans à la mouche, à la bresme,
À bien et beau s'en va Caresme,
À croquignolle, à coquimber,
À je n'y tiens ny bois ny fer,
À pille-nade, joque fore,
Et mille autres beaux jeux encore
Qui faisoient honte à tous les Arts,
Tant de Minerve, que de Mars,
Ne sçachans lors ces premiers Hommes
Rien plus, sinon cueillir des pommes,
Abattre des glands et des noix,
Et se peigner avec les doigts,
La simplesse estant leur partage,
L'ignorance leur heritage,
L'innocence leur commun bien,
Ils ne disoient ny tien, ny mien;
Aussi pour appointer querelle,
Le Vigneron couppe javelle,
N'avoit porté poulle ou dindon
Au President Croquelardon;
Ny le Perche, ny la Fourcade,
À son costé fiere estocade;
Le Sergent porté ses billets,
Ny Mars tiré ses pistolets,
Ny le Filou sa tire-laine,
Ny Jean Guillaume pris la peine
De dancer sur son chien de cou
Le petit branle de Poitou
Car chacun vivoit comme frere,
Sans craindre prison, ny galere,
Marchant toûjours sur le pavé
Le front droit, et le nez levé.
Telle estoit leur rare innocence;
Aussi la terre en recompense,
Sans cuisinier et sans apprest,
Leur tenoit le disner tout prest,
Leur produisant en abondance
Dattes et noix, raisins de pance.
Le fruit à Juppin consacré,
La figue, et le melon succré,
La prune, la pomme, et la poire,
Cerise rouge, et mure noire,
Belle pesche, et beaux Abricots,
Qui leur faisoient grand bien au dos,
Et je croy plus grand bien au ventre.
De plus, la Terre de son centre,
Poussoit mille sources de lait,
Par tout le Nectar y couloit;
Au lieu de chardons et d'orties,
C'estoient Perdrix toutes rosties.
Bref, par tout on voyoit tracé
Le bon-heur de ce temps passé.

 

 


Charles Coypeau d'Assoucy

 

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