Christine de Pisan (1364-1430)
Recueil : Balades d'estrange façon

Balades d'estrange façon

Balades d'estrange façon

 

Balade retrograde.

Acueil bel et agreable.   

Balade a rimes reprises.
Renge mon cuer qui fors vous ne desire.

Balade a responses.
Voire aux loiaulz. Tu as dit voir.  

Balade a vers a responses.
Aime le; si feras que sage.  

Je, Christine, qui ay plouré. . .

 

 

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Balade retrograde

 

(qui se dit a droit et a rebours)

Doulçour, bonté, gentillece,
Noblece, beaulté, grant honnour,
Valeur, maintien et sagece,
Humblece en doulz plaisant atour,
Conforteresse en savour,
Dueil angoisseux secourable,
Acueil bel et agreable.  

Flour plaisant, de grant haultece
Princece, ma prisiée amour,
Tour forte noble fortresse,
Largece en honneste sejour,  
Deesse, estoille, cler jour,
Oeil, mirouer aimable,
Acueil bel et agreable.  

Coulour fine, vraie adrece,
Tresce blonde, et bonne oudour,
Ardour, souesve simplece,
Parece sanz nulle foulour,  
Lucrece de simple cremour,
Brueil de soulas delictable,
Acueil bel et agreable.  

Maistresse loyal, ma tenrour,
Leesse plaisant, ma doulour,
Vueil dire a vous trés louable
Acueil bel et agreable.

 

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Balade a rimes reprises

 

Flour de beaulté en valour souverain,
Raim de bonté, plante de toute grace,
Grace d'avoir sur tous le pris a plain,
Plain de savoir et qui tous maulz efface,  
Face plaisant, corps digne de louenge,
Ange en semblant ou il n'a que redire,
D'yre vuidié, a vous des preux ou renge,
Renge mon cuer qui fors vous ne desire.  

Et j'ay espoir qu'il soit en vostre main
Main jour et nuit en gracieux espace,
Passe le temps, car ja a bien haultain
Atain par vous, et amours qui m'enlasce  
Lasce mon cuer qui du vostre est eschange,
Change vous fais de lui qui vous remire,
Mire plaisant, a vous qui joye arrange,
Renge mon cuer qui fors vous ne desire.  

Si me contraint a l'amour dont vous aim
L'aim de voz yeulz ou grant doulçour s'amasse,
Masse d'onneur ou j'ay tout mon reclaim,
Claim des vaillans dont nul temps ne me lasse.
Lasse ! comment or a prime m'i prenge ?
Pren je en amer riens qui mon bien dessire,
Sire, en vo main qui des bons ne desrenge
Renge mon cuer qui fors vous ne desire.  

Amis loyaulx, cil qui maint meschief venge,
Venge mon cuer du vostre en lieu eslire,
Lire a doulz son, afin que je le prenge,
Renge mon cuer qui fors vous ne desire.

 

 

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Balade a responses

 

Mon doulz ami. Ma chiere dame.
 S'acoute a moy. Trés volentiers,
 M'aimes tu bien ? Ouïl, par m'ame.
 Si fais je toy. C'est doulz mestiers.  
 De quoy ? D'amer. Voire, sanz tiers.
 Deux cuers en un. Sanz decepvoir
Voire aux loiaulz. Tu as dit voir.  

Dame sanz per. Amis sanz blasme.
 Quant vous verray ? T'est il mestiers ?
 Oïl; tost soit. Je crain diffame.
 Qui le saroit ? Les nouveliers.   
 Occions les ! Ilz sont trop fiers.
 Nuisent ilz doncques ? Ouïl voir.
Voire aux loiaulz. Tu as dit voir.  

Las ! que feray ? Sueffre la flamme.
 De qui ? D'amours. Voire, et dongiers
 Elle m'art tout. Et moy entame.
 Que ferons nous ? Soyons entiers.  
 Sanz reconfort. Nannil, mestiers
 A aux amans. Quoy ? Bon espoir.
Voire aux loiaulz. Tu as dit voir.  

Dame ottroiez. Ami, requiers
Que vous voie. Quier les sentiers.
 Peine y mettray. C'est le devoir.
Voire aux loiaulx. Tu as dit voir.

 

 

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Balade a vers a responses

 

Amours, escoute ma complainte ?
 Or dis: qu'as tu ? de quoy te plains ?
 De toy par qui je suis destraintte.
 Tort as quant de ce te complains ?
 Non ay voir, car ma joye estains.  
 Joye en aras s'en toy ne tient ?
 Trop crain le grant mal qui en vient.
 Pense au bien, non pas au dommage ?
 Vueille ou non, d'un seul me souvient.
Aime le; si feras que sage.   

Veulz tu que j'aime ? est ce contrainte ?
 C'est drois quant ton cuer est attains.
 Sera ce cil qui m'a estraintte ?
 Ouïl, car de tout bien est pleins.
 Je n'ay donc pas tort si je l'aims ?  
 Non, car chascun a bon le tient.
 Mais se mon honneur ne soustient ?
 Si fera voir, c'est son usage.
 Or m'en di ce qu'il apartient ?
Aime le; si feras que sage.   

Raison me met en trop grant crainte ?
 Ne la croys, joye toult a mains.
 Tu m'as vers elle en guerre enpainte ?
 Desconfis la, joing moy les mains.
 Honneur dit qu'en vauldroie mains ?  
 Il ment, chascun bon en devient.
 Fait et donc amer me convient ?
 Ce te sera grant avantage.
 Que feray donc se cil revient ?
Aime le; si feras que sage.   

Princes gentilz, Amours me tient ?
 Il apertient bien a ton aage.
 Un bel ami mon cuer retient ?
Aime le; si feras que sage.


(Variantes)
Elle ment et qui le maintient ?
 Helas ! merveilleux cas m'avient.
 De quoy ? D'amer; est ce folage ?
 Ouïl, quant d'amy me souvient.

Amours, ou yray ? ou me tient ?
 Ne fuy plus, mais fay moy hommage.
 Que feray je se cil revient ?

 

 

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Je, Christine, qui ay plouré. . .

 

I
Je, Christine, qui ay plouré
Unze ans en abbaye close
Où j'ay toujours puis demeuré
Que Charles (c'est estrange chose !),
Le filz du roy, se dire l'ose,
S'en fouy de Paris, de tire,
Par la traïson là enclose:
Ore à prime me prens à rire.

II
A rire bonement de joie
Me prens pour le temps, por vernage
Qui se départ, où je souloie
Me tenir tristement en cage
Mais or changeray mon langages
De pleur en chant, quant recouvré
Ay bon temps. . .
Bien me part avoir enduré.

III
L'an mil quatre cens vingt et neuf,
Reprint à luire li soleil
Il ramene le bon temps neuf
Que on n'avoit veu du droit oeil
Puis longtemps; dont plusieurs en deuil
Orent vesqui. J'en suis de ceulx
Mais plus de rien je ne me deuil,
Quant ores voy ce que je veulx.

IV
Si est bien le vers retourné
De grant duel en joie nouvelle,
Depuis le temps qu'ay séjourné
Là où je suis; et la très belle
Saison, que printemps on appelle,
La Dieu merci, qu'ay désirée,
Où toute rien se renouvelle
Et est du sec au vert temps née.

V
C'est que le dégeté enfant
Du roy de France légitime,
Qui longtemps a esté souffrant
Mains grans ennuiz, qui or à prime
Se lieva ainsi que vous, prime
Venant comme roy coronné,
En puissance très grande et fine
Et d'esprons d'or esperonné.

VI
Or fesons feste à nostre roy;
Que très-bien soit-il revenu !
Resjoïz de son noble arroy
Alons trestous, grans et menu,
Au devant; nul ne soit tenu,
Menant joie le saluer,
Louant Dieu, qui l'a maintenu,
Criant Noël en hault huer.

VII
Mais or veuil raconter comment
Dieu a tout ce fait de sa grâce,
A qui je pri qu'avisement
Medoint que rien je n'y trespasse.
Raconte soit en toute place,
Car ce est digne de mémoire
Et escript, à qui que desplacc,
En mainte cronique et histoire.

VIII
Oyez par tout l'univers monde
Chose sur toute merveillable;
Notez se Dieu, en qui habonde
Toute grace, est point secourable
Au droit enfin. C'est fait notable,
Considéré le présent cas;
Si soit aux deceùs valable
Que fortune a flati à cas.

IX
Et note comment esbahir
Ne se doit nul pour infortune,
Se voiant à grant tort haïr,
Et com vint sus par voie comune.
Votez comment toujours n'est une
Fortune, qui à nuit a maint;
Car Dieu, qui aux torts fait rexune,
Ceulx relieve en qui espoir maint.

X
Qui vit doncques chose avenir
Plus hors de toute opinion,
Qui à noter et souvenir
Fait bien en toute région,
Que France, de qui mention
En faisoit que jus est ruée,
Soit, par divine mission,
Du mal en si grant bien muée.

XI
Par tel miracle vrayement
Que, se la chose n'est notoire
Et évident quoy et comment,
Il n'est homs qui le peust croire ?
Chose est bien digne de mémoire
Que Dieu, par une vierge tendre,
Ait adès voulu (chose est voire)
Sur France si grant grace estendre.

XII
O ! quel honneur à la couronne
De France par divine preuve !
Car par les graces qu'il lui donne
Il appert comment il l'apreuve,
Et que plus foy qu'autre part treuve
En l'estat royal, dont je lix
Que oncques (ce n'est pas chose neuve)
En foy n'errèrent fleurs de lys.

XIII
Et tu, Charles roy des François,
Septiesme d'icellui hault nom,
Qui si grant guerre as eue ainçois
Que bien t'en prensist, se peu non;
Mais Dieu grâce, or voiz ton renom;
Hault eslevé par la Pucelle,
Que a soubzmis sous ton penon
Tes ennemis; chose est nouvelle.

XIV
En peu de temps, que l'en cuidoit
Que ce feust com chose impossible
Que ton pays, qui se perdoit,
Reusses jamais: or est visible
Menction, qui que nuisible
T'ait esté, tu l'as recouvré.
C'est par la Pucelle sensible,
Dieu mercy qui y a ouvré.

XV
Si croy fermement que tel grâce
Ne te soit de Dieu donnée,
Se à toy, en temps et espace,
Il n'estoit de lui ordonnée
Quelque grant chose solempnée
A terminer et mettre à chief;
Et qu'il t'ait donné destinée
D'estre de très grans faiz le chief.

XVI
Car ung roi de France doit estre,
Charles fils de Charles nommé,
Qui sur tous rois sera grant maistre;
Prophéciez l'ont surnommé
Le cerf-volant; et consomé
Sera par cellui conquéreur
Maint fait; Dieu l'a à ce somé,
Et enfin doit estre empereur.

XVII
Tout ce est le prouffit de l'âme.
Je prie à Dieu que cellui soies,
Et qu'il te doint, sans le grief d'âme,
Tant vivre qu'encoures tu voyes
Tes enfants grans; et toutes joyes
Par toy et eulz soient en France;
Mais en servant Dieu toutes voies,
Ne guerre n'y face oultreuance.

XVIII
Et j'ay espoir que bon seras,
Droiturier et amant justice
Et tous les autres passeras;
Mais que orgueil ton fait ne honnisse;
A ton peuple doulz et propice
Et craignant Dieu qui t'a esleu
Pour son servant, si com prémisse
En as; mais que-faces ton deu.

XIX
Et comment pourras-tu jamais
Dieu mercier à souffîsance,
Servir, doubler en tous tes fais,
Que de si grant contrariance
T'a mis à paix, et toute France
Relevée de tel ruyne,
Quant sa très grant saint providence
T'a fait de si grant honneur digne ?

XX
Tu en soyes loué, hault Dieu
A toy gracier tous tenus
Sommes, que donné temps et lieu
As, où ces biens sont avenus.
A jointes mains, grans et menus,
Grâces te rendons, Dieu céleste,
Par qui nous sommes parvenus
A paix, et hors de grant tempeste.

XXI
Et toy, Pucelle beneurée,
N'y dois-tu mie estre obliée,
Puisque Dieu t'a tant honnourée,
Qui as la corde desliée,
Qui tenoit France estroit liée.
Te pourroit-on assez louer
Quant, ceste terre humiliée
Par guerre, as fait de paix douer ?

XXII
Tu, Johanne, de bonne heure née,
Benoist soit cil qui te créa !
Pucelle de Dieu ordonnée,
En qui le Saint-Esprit réa
Sa grant grâce et qui ot et a
Toute largesse de hault don,
N'onc requeste ne te véa
Que te rendront assez guerdon ?

XXIII
Que peut-il d'autre estre dit plus
Ne des grans faiz du temps passez ?
Moyses, en qui Dieu afflus
Mist grâces et vertus assez,
Il tira sans estre lassez
Le peuple Israel hors d'Egipte.
Par miracle ainsi repassez
Nous a de mal, Pucelle eslite.

XXIV
Considérée ta personne,
Qui est une joenne pucelle
A qui Dieu force et povoir donne
D'entre le champion, et celle
Qui donne à France la mamelle
De paix et doutce nourriture;
A ruer jus la gent rebelle:
Veci bien chose oultre nature.

XXV
Car se Dieu fist par Josué
Des miracles à si grant somme,
Conquérant lieux, et jus rué
Y furent maints il estoit homme
Fort et puissant. Mais tout en somme
Veci femme, simple bergière,
Plus preux qu'onc homsne fut à Romme.
Quant à Dieu, c'est chose légère;

XVI
Mais quant à nous, oncques parler
N'oymes de si grant merveille;
Car tous les preux au long aler,
Qui ont esté, ne s'appareille
Leur proesse à ceste qui veille
A bouter horz noz ennemis.
Mais ce fait Dieu, qui la conseille,
En qui cuer plus que d'omme a mis.

XVII
De Gédéon en fait grant compte,
Qui simple laboureur estoit,
Et Dieu le fist (se dit le conte),
Combattre, ne nul n'arrestoit
Contre lui, et tout conquestoit.
Mais onc miracle si appert
Ne fist, quoyqu'il ammonestoit,
Com pour ceste fait il appert.

XVIII
Hester, Judith et Delbora
Qui furent dames de grant pris,
Par lesqueles Dieu restaura
Son pueple qui fort estoit pris,
Et d'autres plusieurs qu’ay appris
Qui furent preuses, n'y ot celle;
Maismiracles en a porpris
Plus a fait par ceste Pucelle.

XXIX
Par miracle fut envoiée
Et divine amonition
De l'ange de Dieu convoiée
Au roy, pour sa provision.
Son fait n'est pas illusion,
Car bien a esté esprouvëe
Par conseil, en conclusion:
A l'effect la chose est prouvée

XXX
Et bien esté examinée.
Et ains que l'en l'ait voulu croire,
Devant clers et sages menée,
Pour ensercher se chose voire
Disoit, ainçois qu'il fust notoire
Que Dieu l'eust vers le roy tramise;
Mais on a trouvé en histoire
Qu'à ce faire elle estoit commise.

XXXI
Car MerliHn, et Sébile et Bede,
Plus de cinq 'cens a la veïrent
En esperit, et pour remède
A France en leurs escriptz la mirent;
Et leurs prophécies en firent,
Disans qu'el pourterait bannicre
Es guerres françoises; et dirent
De son fait toute la manière.

XXXII
Et sa belle vie, par foy !
Monstre qu'elle est de Dieu en grâce,
Par quoy on adjouste.plus foy
A son fait car quoy qu'elle face,
Toujours a Dieu devant la face,
Qu'elle appelle, sert et deprye
En fait, en dit; ne va en place
On sa dévocion détric.

XXXIII
O ! comment lors bien y paru
Quant le siège iert à Orléans,
Où premier sa force apparu
Onc miracle, si comme je tiens,
Ne fut plus cler; car Dieu aux siens
Aida telement, qu'ennemis
Ne s'aidèrent plus que mors chiens.
La furent prins ou a mort mis.

XXXIV
Hée ! quel honneur au féminin
Sexe ! Que Dieu l'ayme, il appert.
Quant tout ce grant peuple chenin
Par qui tout le règne ert désert,
Par femme est sours et recouvert,
Ce que pas hommes fait n'eüssent,
Et les traittres mis à désert
A peine devant ne crussent.

XXXV
Une fillete de seize ans
(N'est-ce pas chose fors nature ?)
A qui armes ne sont pesans,
Ains semble que sa norriture
Y soit, tant y est fort et dure;
Et devant elle vont fuyant
Les ennemis, ne nul n'y dure.
Elle fait ce, mains yeulx voiant.

XXXVI
Et d'eulx va France descombrant,
En recouvrant chasteaulx et villes,
Jamais force ne fu si grant,
Soient à cens, soient à miles.
Et de nos gens preuz et abiles
Elle est principal chevetaine.
Tel force n'ot Hector, ne Achilles;
Mais tout ce fait Dieu qui la menne.

XXXVII
Et vous, gens d'armes esprouvez,
qui faites l'exécution,
Et bons et loyaulz vous prouvez:
Bien faire on en doit mention.
Louez en toute nation
Vous en serez, et sans faillance
Parle-en sur toute élection
De vous et de vostre vaillance.

XXXVIII
Qui vos corps et vie exposez,
Pour le droit, en peine si dure,
Et contre tous périls osez
Vous aler mettre à l'avanture.
Soiés constans. car je vous jure
Qu'en aurés gloire ou ciel et los;
Car qui se combat pour droitture,
Paradis gaingne, dire l'os.

XXXIX
Si rabaissez, Anglois, vos cornes,
Car jamais n'aurez beau gibier
En France, ne menez vos sornes
Matez estes en l'eschiquier,
Vous ne pensiez pas l'autrier
Où tant vous monstriez perilleux;
Mais n'estiez encour ou sentier
Où Dieu abat les orgueilleux.

XL
Jà cuidiés France avoir gaingnée,
Et qu'elle vous deust demourer.
Autrement va, faulse mesgniee !
Vous ires ailleurs tabourer,
Se ne voulez assavourer
La mort, comme vos compaignons,
Que loups porroient bien devourer,
Car mors gisent par les sillons.

XLI
Et sachez que, par elle, Anglois
Seront mis jus sans relever,
Car Dieu le veult, qui ot les voix
Des bons qu'ils ont voulu grever.
Le sanc des occis sans lever
Crie contre eulz. Dieu ne veult plus
Le souffrir; ains les resprouver
Comme mauvais, il est conclus.

XLII
En chrestienté et en l'Église
Sera par elle mis concorde.
Les mescréans dont on devise
Et les hérites de vie orde
Destruira car ainsi l'accorde
Prophétie qui l'a prédit;
Ne point n'aura miséricorde
De li, qui la foy Dieu laidit.

XLIII
Des Sarrasins fera essart
En conquérant la Sainte Terre;
Là menra Charles, que Dieu gard
Ains qu'il muire fera tel erre.
Cilz est cil qui la doit conquerre:
Là doit-elle finer sa vie
Et l'un et l'autre gloire acquerre
Là sera la chose assovye.

XLIV
Donc desur tous les preux passez,
Ceste doit porter la couronne,
Car ses faits jà monstrent assez
Que plus prouesse. Dieu lui donne
Qu'à tous ceulz de qui l'en raisonne;
Et n'a pas encor tout parfaict.
Si croy que Dieu ça jus leur donne
Afin que paix soit par son faict.

XLV
Si est tout le mains qu'affaire ait
Que destruire l'Englescherie,
Car elle a ailleurs plus haut hait:
C'est que la foy ne soit périe.
Quant des Anglois, qui que s'en rye
Ou pleure, or il en est sué;
Le temps advenir mocquerie
En sera faict: jus sont rue.

XLVI
Et vous, rebelles ruppieux
Qui à eulz vous estes adhers,
Ne voiez-vous qu'il vous fust mieulx
Estre alez droit que le revers
Pour devenir aux Anglois serfs ?
Gardez que plus ne vous aviengne,
Car trop avez esté souffers,
Et de la fin bien vous soviengne.

XLVII
N'appercevez-vous gent avugle,
Que Dieu a ici la main mise ?
Et qui ne le voit, est bien vugle;
Car comment seroit en tel guise
Geste Pucelle ça tramise,
Qui tous mors vous fait jus abattre,
Ne force avez mais qui souffse ?
Voulez-vous contre Dieu combattre ?

XLVIII
N'a-elle mené le roy au sacre,
Que tenait adès par la main ?
Plus grant chose oncques devant Acre
Ne fut faite car pour certain
Des contrediz y ot tout plain;
Mais maulgré tous, à grant noblesse,
Y fut receu et tout à plain
Sacré, et là ouy la messe.

XLIX
A très grant triumphe et puissance,
Fu Charles couronné à Rains,
L'an mil quatre cens, sans doubtance,
Et vingt et neuf, tout saulf et sains,
Avecques de ses barons mains,
Droit ou dix septiesme jour
De juillet, pour plus et pour mains.
Et là fu cinq jours à séjour.

L
Avecques lui la Pucellette,
En retournant par son païs,
Cité, ne chastel, ne villette
Ne remaint. Amez ou hays
Qu'il soit, ou soient esbaïs ( ? ? ?)
Ou asseurez, les habitans
Se rendent; pou sont envahys,
Tant sont sa puissance doubtans !

LI
Voir est qu'aucuns de leur folie
Cuident résister; mais pou vault,
Car au derrain, qui que contralie,
A Dieu compere le deffault.
C'est pour nient; rendre leur fault
Veuillent ou non; n'y a si forte
Résistance, qui à l'assault
De la Pucelle ne soit morte;

LII
Quoyqu'en ait fait grant assemblée
Cuidant son retour contredire
Et lui courir sus par emblée.
Mais plus ni fault confort de mire:
Car tous mors et pris tire à tire
Y ont estez les contrediz,
Et envoyés, comme j'oy dire,
En enfer ou en paradis.

LIII
Ne sçai se Paris se tendra,
Car encoures n'y sont-ilz mie,
Ne se la Pucelle attendra
Mais s'il en fait son ennemie,
Je me doubt que dure escremie
Lui rende, si qu'ailleurs a fait.
S'ilz résistent heure, ne demie,
Mal ira, je croiy, de son fait.

LIV
Car ens entrera, qui qu'en groingne:
La Pucelle lui a promis.
Paris, tu cuides que Bourgoigne
Defende qu'il ne soit ens mis ?
Non fera, car ses ennemis
Point ne se fait. Nul n'est puissance
Qui l'en gardast, et tu soubmis
Seras et ton outrecuidance.

LV
O Paris, très mal conseillé !
Folz habitans sans confiance !
Ayme-tu mieulz estre essilié
Qu'à ton prince faire accordance ?
Certes, ta grant contrariance
Te destruira, se ne t'avises.
Trop mieulz te feust par suppliance
Requerir mercy: mal y vises.

LVI
Gens a dedans mauvais, car bons
Ya maint, je n'en fais pas doubte;
Maisparler n'osent, j'en respons
A qui moult desplaist et sansdoubte
Que leur prince ainsi on deboute.
Si n'auront pas ceulx deservie
La punition où se boute
Paris, où maint perdront la vie.

LVII
Et vous toutes, villes rebelles,
Et gens qui avez regnié
Vostre seigneur, et ceulx et celles
Qui pour autre l'avez nié:
Or soit après aplanié
Par doulceur, requerant pardon
Car se vous êtes manié
A force, à tart vendrez ou don.

LVIII
Et que ne soit occision,
Charles retarde tant qu'il peut,
Ne sur char d'omme incision;
Car de sang espandre se deult.
Mais au fort, qui rendre ne veult
Par bel et doulceur ce qu'est sien,
Se par force en effusion
De sang le requerre, il fait bien.

LIX
Hélas il est si débonnaire
Qu'à chascun il veult pardonner
Et la Pucelle lui fait faire,
Qui ensuit Dieu. Or ordonner
Veuillez vos cueurs et vous donner
Comme loyaulz François à lui,
Et quand on l'orra sermonner
N'en serés reprins de nulluy.

LX
Si pry Dieu qu'il mecte en courage
A vous tous qu'ainsi le fassiez,
Afin que le conseil o rage
De ces guerres soit effaciez,
Et que vostre vie passiez
En paix sous votre chief greigneur,
Si que jamais ne l'effaciez
Et que vers vous soit bien seigneur.
Amen.

LXI
Donné ce ditié par Christine,
L'an dessusdit mil quatre cens
Et vingt et neuf, le jour où fine
Le mois de juillet. Mais j'entends
Qu'aucuns se tendront mal contens
De ce qu'il contient, car qui chière
A embrunche les yeux pesans,
Ne peut regarder la lumière.

 

 


Christine de Pisan

 

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