Évariste de Parny (1753-1814)
Recueil : Chansons Madécasses (1787)

Chanson IX



Une mère traînait sur le rivage sa fille unique, pour la vendre aux blancs.

« Ô ma mère ! ton sein m’a portée ; je suis le premier fruit de tes amours : qu’ai-je fait pour mériter l’esclavage ? J’ai soulagé ta vieillesse ; pour toi j’ai cultivé la terre ; pour toi j’ai cueilli des fruits ; pour toi j’ai fait la guerre aux poissons du fleuve ; je t’ai garantie de la froidure ; je t’ai portée durant la chaleur sous des ombrages parfumés ; je veillais sur ton sommeil, et j’écartais de ton visage les insectes importuns. Ô ma mère, que deviendras-tu sans moi ? L’argent que tu vas recevoir ne te donnera pas une autre fille ; tu périras dans la misère, et ma plus grande douleur sera de ne pouvoir te secourir. Ô ma mère ! ne vends point ta fille unique. »

Prières infructueuses ! Elle fut vendue, chargée de fers, conduite sur le vaisseau, et elle quitta pour jamais la chère et douce patrie.


 


Evariste de Parny

 

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